Marylène Tonnel-Ballavoisne
Après l'expérience d'un an dans une classe d'enfants déficients visuels en
institut, je souhaitais entreprendre un travail de recherche, en particulier sur
l'aspect tactile de la préparation à la lecture.
Mon cheminement professionnel m'avait conduit à mieux connaître l'enseignement
spécialisé, d'une part très intéressée par les travaux sur la pédagogie
différenciée, j'étais déçue et frustrée de n'avoir pas les moyens de les mettre
véritablement en pratique dans le milieu ordinaire (effectifs freinant le plus
souvent la bonne volonté des enseignants), d'autre part le domaine de la
déficience visuelle me fascinait et, enseigner, donner le goût de la lecture à
des enfants sans le support de l'image, me semblait un défi et une aventure
passionnante à entreprendre.
La classe qui allait m'être confiée m'a permis au delà de mes espérances de
concrétiser cette ambition. En effet, cette classe qui avait une vocation
préscolaire, accueillait tous les enfants non pas d'âge préscolaire, mais de
niveau préscolaire, c'est à dire tous ceux qui n'avaient pas encore les
possibilités de commencer les apprentissages fondamentaux. Il en résulte donc
une très grande hétérogénéité tant sur le niveau, que sur les techniques, ce qui
m'a permis d'appliquer une pédagogie différenciée, et même individuelle.
Après avoir rappelé dans la première partie de ce mémoire quelles sont les
aptitudes nécessaires au savoir-lire de l'enfant aveugle et les obstacles qu'il
rencontre, ainsi que les troubles liés à la cécité elle-même, je décrirai plus
précisément le contexte dans lequel j'ai exercé. L'analyse de cette situation,
me permet de prendre du recul afin de trouver des pistes de solution pour tenter
de répondre à des objectifs d'apprentissage avec des enfants présentant des
troubles associés. Que mettre en place pour répondre aux besoins de chacun dans
un contexte qualifié «d'ingérable»? Comment également concilier le groupe-classe
avec l'individualisation des activités?
La troisième partie sera consacrée à l'aspect tactile de la préparation à la
lecture. Je tenterai de montrer l'importance de l'éducation tactile à développer
chez ce type d'enfants, et je développerai quelques exemples d'activités que
j'ai conduites dans cette classe pour répondre à sa problèmatique particulière.
Ce travail d'analyse a été complété et enrichi par les lectures d'ouvrages
traitant de ces sujets, et également par les échanges avec d'autres
professionnels avec qui j'ai pu obtenir un entretien.
I - PRELECTURE ET CECITE
1.1. PREPARER A LA LECTURE
1.1.1.
L'enfant et l'écrit:
Dès son plus jeune âge l'enfant voyant bénéficie d'un bain d'écrit permanent
quel que soit son milieu social: publicités, emballages et autres panneaux sont
offerts à son regard. Voir des écrits le familiarise avec ces signes et lui
permet de se rendre compte de ses fonctions. Sa famille va avoir un rôle
déterminant et l'école compensera éventuellement, dès la maternelle les «manques» familiaux. Même si ce bain d'écrit ne suffit pas à apprendre à lire,
il va stimuler l'enfant et l'aider à s'approprier la lecture qui fera ensuite
l'objet d'un apprentissage spécifique. On imagine mal un enfant voyant arrivant
en maternelle sans jamais avoir vu de signes écrits, et c'est pourtant dans
cette situation que peuvent être nos jeunes élèves aveugles. L'enfant privé de
vue va nécessairement être privé d'épreuves perceptives visuelles donc
cognitives. L'appropriation de l'écrit sera donc nécessairement plus longue, ce
sera à l'adulte de lui proposer toutes les situations de lecture possibles. A
propos du sens que peut donner un enfant aveugle à l'écrit, j'ai en mémoire
cette anecdote: Guillaume à qui sa maman avait acheté des lunettes noires, me
prit la main, me fit toucher ses lunettes, et me dit: «Regarde, c'est marqué: lu-nettes-noires».
Pour Guillaume (7ans), comme pour beaucoup d'autres, l'objet et son signifiant
écrit sont encore liés!
1.1.2. Pourquoi préparer
à la lecture?
L'enfant aveugle, comme les enfants voyants, ne pourra accéder à ce code de
communication à distance qu'est la lecture qu'après d'autres activités de
communication. Une scolarisation précoce est indispensable pour l'aider à
surmonter tous les obstacles qui le conduiront sur le chemin de la lecture. Il
est déterminant pour lui qu'il apprenne à communiquer avec les autres, qu'il
bénéficie d'un bain de langage et bien entendu qu'on lui propose le plus tôt
possible une grande diversité de jeux et exercices tactiles le familiarisant
petit à petit avec l'approche des caractères braille.
1.1.3. Qui préparer à la lecture?
Je peux citer quelques cas d'enfants n'ayant pas eu besoin, ou presque, de se
préparer à la lecture. Le professeur de braille de l'Institut où j'ai exercé a
été scolarisé à l'âge de 7 ans, n'avait pas bénéficié de stimulation familiale
particulière, et a pourtant appris le Braille en quelques mois. Autre cas
exceptionnel, une petite fille de 5 ans ayant bénéficié d'une dérogation pour
entrer au CP, a été capable, sans effort, de suivre les activités du groupe de
CE1 après 3 mois. Il semble que pour ce type d'enfants, la préparation à la
lecture a été presque inexistante, mais dans la majorité des cas, cette
préparation devra se faire contraire le plus tôt possible et surtout pour ceux
qui ne bénéficient pas de ce bain de lecture à la maison, qui plus est pour les
enfants lourdement handicapés pour qui les acquis seront très lents et
difficiles mais à qui il faudra toutefois, et même surtout donner cette chance.
1.1.4. Comment?
Le rôle de l'enseignant va donc être d'être d'accompagner l'enfant sur le chemin
de la lecture (chemin qui pourra ressembler parfois à un «parcours du
combattant»). Patience, optimisme, écoute et observation vont nous aider à
amener l'enfant à se dépasser. Nous essayerons de lui faire prendre conscience
de ses possibilités et de ses limites. Les annexes XXIV nous rappellent qu'il
faut partir de ce que nos élèves peuvent faire et non de ce qu'ils ne peuvent
pas faire. Je pense que tout enseignant spécialisé en a conscience sinon il
serait vite découragé par les difficultés rencontrées par ses élèves. Nous ne
devons pas, en face d'enfants quelquefois lourdement handicapés, faire de
l'acharnement pédagogique. Nos collègues de milieu ordinaire, pris entre
programmes, instructions officielles, et effectifs surchargés n'ont pas le choix; nous avons au contraire les moyens de faire bénéficier nos élèves d'une
pédagogie différenciée, être en constante observation de chacun pour
individualiser leur progression.
Plus encore que d'exercer, d'entraîner,
d'éduquer il faut donner l'envie d'apprendre. Outre les conditions motrices,
perceptives et linguistiques, il nous faudra avant tout être vigilants sur le
développement des aptitudes liées à l'affectif:
-
motivation
-
intérêt pour l'acquisition de stratégies nouvelles
-
autonomie
-
stabilité affective
-
stabilité de l'attention
-
capacité d'adaptation au contexte de vie (classe)
Eveline Charmeux écrit: «la facilité est démobilisatrice, la confiance ne
peut revenir que sur des réussites qui méritent ce nom» (Savoir lire au
collège, Paris, CEDIC, 1985, p.139). Pour nos enfants, rien n'est facile, la
plus petite des réussites est souvent une véritable conquête et ils auront dû
mettre en oeuvre de multiples compétences pour un résultat qui pourrait paraître
médiocre. Par exemple: un enfant qui va réussir à aligner deux cubes identiques
de cubarithme aura su:
-
> se concentrer sur une tâche > écouter et respecter une consigne
> mobiliser son attention > s'organiser pour ne pas disperser les cubes.
> faire preuve de compétences tactiles pour identifier la bonne face du cube
> employer efficacement une stratégie de retour au modèle > placer la face du cube la face à toucher en haut.
Eh bien, pour toutes ces compétences, je dis «bravo» et je ne crois pas être facilitante en le complimentant, tout en essayant la fois suivante bien sûr
d'obtenir davantage. Même si on doit l'aider à se dépasser, j'ai remarqué comme
il était valorisant pour eux de réaliser une activité qu'ils réussissent
aisément, ils montrent fièrement leur réalisation aux autres et je pense que
l'on peut les laisser quelque temps se satisfaire de leurs acquis. Cette
pédagogie de réussite est préconisée par les équipes des établissements recevant
des enfants multihandicapés. Il faut simplifier pour aider l'enfant à réussir,
trouver la séquence minimale pour qu'il y parvienne. Tous les professionnels
sont convaincus que ce n'est que par une pédagogie positive que nous pourrons
obtenir des progrès même les plus petits, mais qui conduiront l'enfant vers ce «plus» qui l'amènera progressivement vers la réussite.
1.2. LES APTITUDES DU SAVOIR LIRE
1.2.1. Les conditions préalables:
Compte tenu de ce que j'ai développé dans le paragraphe précédent concernant les
domaines liés à l'affectif, il va falloir ne négliger, en plus, aucun élément
susceptible de faire comprendre aux enfants la nécessité de la lecture: ce
qu'elle a de profitable et d'agréable.
L'accès à la lecture du braille va solliciter des compétences différentes de
celles mises en oeuvre pour la lecture en noir et qui feront intervenir des
aptitudes spécifiques.
Quelles sont ces compétences spécifiques?
Notre petit aveugle, futur lecteur, va dons devoir apprendre à:
-
> acquérir un niveau de langage oral élaboré > affiner sa perception tactile
> développer ses mouvements bimanuels > maîtriser la latéralisation.
Outre ces compétences que l'on tentera de développer chez nos élèves, il me
paraît primordial de développer parallèlement au côté utile de la lecture, le
goût de lire.
1.2.2. Aimer lire:
Nous nous devons donc d'amener nos élèves à s'intéresser aux divers aspects de
la lecture, en leur montrant, puisqu'ils n'ont pas toujours la chance de le
vivre à la maison, toutes les fonctions de l'écrit. Comme d'ailleurs dans toutes
les classes maternelles, nous multiplions les situations de lecture: recettes
de cuisine, correspondance etc.
Des rites liés à l'écrit sont quotidiennement proposés aux enfants: calendrier,
météo, tableau de présence avec les prénoms, affichages divers où le braille est
«lisible». Par exemple, à chacun de nos déplacements nous affichons à la porte
une feuille écrite en noir et en braille précisant le lieu où nous nous
trouvons. Les enfants «lisent» globalement «nous sommes à la bibliothèque»
et comprennent l'utilité de ce message pour d'éventuels visiteurs qui nous
chercheraient.
Il nous faut expliciter à chaque fois que nous serons nous-même en situation de
lecteur: «Je suis en train de lire». J'ai été inspectée dans une classe de CP
«ordinaire», et lorsqu'un enfant d'une autre classe est venu m'apporter le
courrier qui circulait régulièrement dans l'école, je m'en suis vivement
débarrassée sur le bureau, veillant consciencieusement à ne pas me laisser
distraire de ma séquence. L'inspecteur me fit alors remarquer que je pouvais
prendre un court moment pour consulter ces documents, en l'explicitant à mes
élèves et que mon attitude me privait de leur donner une occasion de leur
montrer le côté fonctionnel et utile des écrits. Toute situation d'écrit peut
donc être prétexte à en expliquer les fonctions.
Le plaisir de lire va leur être procuré dans un premier temps par le plaisir
d'écouter des histoires. L'enfant a besoin du conte pour se construire. Je pense
qu'il développe, comme pour tous les enfants, l'imagination de l'enfant aveugle.
Nous ferons toucher aux enfants le support, même s'il s'agit d'un livre en noir.
Quand nous disposons de livres en relief, il faut bien entendu les faire
manipuler aux enfants. Hélas la littérature spécifique est pauvre en ce domaine,
peu de livres de qualité sont disponibles et pourraient développer chez l'enfant
une esthétique du toucher. Il faut souligner en ce domaine l'effort réalisé par
l'association «Les doigts qui rêvent» qui éditent des livres de grande qualité
esthétique. Une réaction d'une de mes élèves prouve bien la prise de conscience
de la pauvreté des livres à la disposition des enfants, tant tactile qu'au point
de vue du contenu de l'histoire. Amélie, 6 ans, qui devait choisir comme chaque
semaine un livre de bibliothèque, refusait systématiquement de prendre un livre
un relief et préférait les livres en noir car, disait-elle: «Je peux regarder
les images et y'a des histoires.» Un peu perplexe, j'ai pu vérifier en effet
que les dessins en relief ne lui parlaient pas et qu'on trouvait peu de Prince
Charmant dans les livres à toucher.
Lors d'un entretien avec une collègue éducatrice dans un jardin d'enfants,
elle-même intéressée par le côté «plaisir» de la lecture, elle m'a fait part
de sa démarche; pendant la lecture du conte, elle met à disposition des enfants
aveugles des fiches bristol sur lesquelles figurent des éléments en relief faits
à la Perkins, par exemple un gros tas de «é» ou plusieurs «é» répartis sur
la feuille. D'après son témoignage, les enfants trouvent plaisir à associer des
éléments de l'histoire à ces signes en relief qu'ils se choisissent, à qui ils
donnent vie et qui peuvent changer d'une histoire à l'autre.
Passionnée par ses travaux, j'ai eu le privilège d'avoir un long entretien avec
Monsieur Serge Guillemet, alors censeur de l'INJA. Il écarta vite les questions
techniques sur l'apprentissage de la lecture en me faisant un vibrant et
convaincant plaidoyer sur la gaieté et la vie que nous, enseignants, devions
donner aux apprentissages. «Trop d'aveugles se sont mortellement ennuyés à
apprendre le braille, chantez avec eux, faites-les aimer lire avant même de leur
en donner les moyens!»
Même si j'ai choisi de développer l'approche tactile de la lecture dans la
dernière partie de ce travail, je suis convaincue que nos enfants développeront
plus facilement toutes les aptitudes nécessaires aux apprentissages, si on
réussit à les motiver et à leur donner par notre enthousiasme le goût de lire. J'ai trouvé peu de documentations traitant de ce sujet, une enquête (Le courrier
de Suresnes N° 32.) rappelle les moyens de susciter le désir de lire utilisés
par les enseignements spécialisés:
- désir d'apprendre (au travers des documentaires) - plaisir à communiquer - aspiration à l'autonomie - goût pour l'imaginaire.
Le dossier d'Anne-Marie Barbier (Je lis pour mon plaisir; comment donner le
goût de la lecture à des aveugles et déficients visuels en premier cycle? CAEGADV Toulouse, 1985), il concernait un public d'enfants de collège. N. Léwi-Dumont
développe ce thème dans sa thèse et le reprend dans ses conclusions
(L'apprentissage de la lecture chez les enfants aveugles: difficultés et
évolution des compétences - p.952-958). Le peu de documents traitant de ce sujet
est peut-être simplement une preuve de la difficulté de cette ambition.
1.3. LES OBSTACLES A LA LECTURE
Après avoir précisé les compétences nécessaires à l'approche de la lecture, il
faut aussi aborder, même s'ils sont déjà implicitement évoqués, les freins et
obstacles à cet apprentissage. Bien que très optimiste face aux potentialités
des enfants, je considère qu'il est intéressant à titre informatif et
constructif d'évoquer les divers troubles que manifestent parfois les jeunes
enfants aveugles, troubles qui sont souvent autant de freins aux apprentissages.
1.3.1. Les freins liés à la cécité.
> niveau de langage souvent peu élaboré (parfois écholalie) > code braille difficile à acquérir (toucher, latéralisation, coordination
motrice) > petits nombres de livres en relief > absence de dessins comme aide à la lecture
> manque de références à l'écrit.
A la lecture de cette liste, on ne peut déjà que s'émerveiller que certains (et
même une majorité) réussissent, et je reprendrai une expression-titre de Emilia Ferreiro; (Comment s'y apprennent-t-ils? Lyon, CRDP, 1988) citée par N. Léwi-Dumont (thèse p.22, tome 1) Comme dans tous les apprentissages qu'ils
soient de la vie journalière, ou scolaires, l'enfant va avoir besoin de plus de
temps comme l'écrit Pierre Henri: «le temps, voilà ce qui manque le plus aux
jeunes aveugles! «(Vie des aveugles, Que sais-je?, P.U.F., 1948, p.30)
Henri Gauvrit (L'éducation pré-scolaire des enfants aveugles dans des
établissements, Recueil de textes FISAF, 1987, p.43-57) explique le risque de la
cécité sur le développement intellectuel: «la main qui ne sait pas toucher, ne
dialogue pas avec les objets, elle n'assume pas la médiation entre le monde
extérieur et le cerveau.»
Yvette Hatwell, quant à elle, a démontré que: «le retard ou les troubles
moteurs observés chez les aveugles ne peuvent rendre compte des particularités
de leur développement opératoire.» (Privation sensorielle et intelligence,
Presses universitaires de France, 1966, p.5) Elle prouve dans ces travaux que le
rythme plus lent de l'enfant aveugle s'explique en partie par les difficultés
liées au braille lui-même qui rendent plus ardus et plus laborieux les premiers
apprentissages.
La cécité n'entraîne pas une organisation spécifique mais un décalage dans le
temps. Le déficit dans la construction spatiale se corrigera quand le langage
sera bien installé.
1.3.2. L'attitude de l'enfant
aveugle:
On constate souvent des symptômes autistiques ainsi que des comportements
appelés blindismes qui dans certaines proportions peuvent gêner l'environnement:
- balancers mécaniques - marche pieds écartés - mimiques - doigt enfoncé dans l'orbite
L'image même de l'enfant aveugle a ses particularités:
- tête au regard silencieux - rigidité du cou - équilibre difficile - raideur de la démarche et des attitudes - maladresse des mouvements
L'enfant aveugle ne dispose pas de ce formidable aller/retour informatif qu'est
le regard de l'autre. Notre rôle va donc être éventuellement d'éduquer
l'attitude, lui apprendre à se corriger, à se redresser, à se tourner vers la
personne à qui il parle. Un véritable code social pour être plus aisément
intégré dans une société de voyants.
J'ai l'exemple d'Abel qui avait une attitude très particulière, assis il était
toujours penché, appuyé sur un de ses avant-bras. Je lui en faisais
régulièrement la remarque, lui expliquant que son apparence pouvait déplaire. Il
était très fier de se corriger: «j'suis beau comme ça, hein?» mais cette
position lui demandait un réel effort et il s'écroulait quelques secondes plus
tard sur la table ou sur son voisin à (ce petit incident provoquant
immanquablement l'agressivité de ce dernier là). Henri Gauvrit a rapporté une choquante déclaration d'un intervenant à un débat
sur les attitudes défectueuses des jeunes aveugles: «Quand vous recevez des
aveugles dans vos écoles à six ans, les dégâts sont déjà faits. Il ne vous
reste qu'à réparer les pots cassés.» Il cite également Pierre Villey qui écrit
que: «L'absence d'excitant extérieur fait que l'enfant se recroqueville sur
lui-même.».
1.3.3. Les troubles du comportement
et de la personnalité:
Les freins aux apprentissages les plus importants que j'ai pu observer sont liés
au comportement, à l'affectif, aux troubles psychologiques de la personnalité de
l'enfant. Comme l'a noté encore Henri Gauvrit: D'un enfant à l'autre, le profil
varie du pathologique au normal. La cécité crée une situation, le défaut ou les
erreurs d'éducation la dégradent. Les troubles associés à la cécité par carence
de guidage sont plus graves que la cécité elle-même et sont à l'origine des
surhandicaps.
Tous les enfants aveugles doivent développer des compétences compensatrices et
pour cela, ils doivent surmonter, nous l'avons vu, plus d'obstacles que les
voyants. Les apprentissages sont plus lents, plus difficiles à motiver, et en
plus nos très jeunes élèves sont souvent dans un désordre psychologique tel que
toute l'énergie et les compétences de leur entourage vont être mobilisées sur
cet affect perturbé.
Les troubles de l'enfant instable, inattentif que nous rencontrons dans toutes
les classes ordinaires vont se trouver accentués. Le rôle du service de soins va
être déterminant. Parents, éducateurs, enseignants vont devoir établir autour de
ce enfant un projet constructif. Nous y croyons tous, sinon pourquoi exercer
dans le milieu spécialisé? S'il est vrai que les étapes ratées sont
difficilement compensables, rien n'est définitivement perdu.
Helen Keller
(Histoire de ma vie: sourde, muette, aveugle, Paris, Payot, 1954) nous donne
une formidable leçon d'optimiste, la farouche persistance de son éducatrice à
réussi à éveiller l'esprit de cette enfant que tout le monde condamnait à
l'idiotie.
Je terminerai ce chapitre par cette phrase de C. Potock: «Tous les
commencements sont difficiles.» citée par Madame Gloria Laxer au cours d'une
conférence au CNEFEI.
II - PRESENTATION DE LA CLASSE
2.1. IMPLANTATION:
L'Institut Régional de Rééducation sensorielle et Motrice (IRRSEM)
de Reims, créé en 1973, est une reconversion d'une école de plein air. Il est né
de la rencontre de deux réalités du moment:
- baisse des effectifs de l'école de plein air - regroupement des classes de déficients auditifs, visuels et moteurs répartis
dans différentes écoles de la ville.
L'institut est géré par une
association créée par des médecins. La mairie est propriétaire du terrain situé
au coeur de la ville dans un grand parc de deux
hectares. L'école possède 11 classes:
- 3 pour les déficients moteurs - 5 pour les déficients auditifs - 3 pour les déficients visuels.
Un responsable pédagogique en assure la direction, la direction générale de
l'institut étant assurée par un directeur du secteur santé.
2.2. POPULATION:
La zone géographique de recrutement de l'institut couvre la Marne et une partie
de l'Aisne. Les enfants sont internes ou semi-internes. Tous les enfants
aveugles du département, à partir de l'école élémentaire, sont accueillis à l'IRRSEM,
aucune intégration n'a été réalisée. A l'échelon local, il n'existe aucune autre
structure pour accueillir les déficients visuels (mal-voyants et non-voyants),
par contre des intégrations d'enfants amblyopes sont réalisées.
Conformément à la législation, un service de soins appelé SAFIS est rattaché à
l'IRRSEM, il assure à la fois l'accompagnement familial de tous les très jeunes
enfants (SAFEP) ainsi que le suivi et les soins pour tous les aveugles et
malvoyants de Reims et sa périphérie (SAAAIS).
Malgré les bonnes volontés individuelles, il semble qu'il existe encore certains
freins aux possibilités d'action autour des enfants, afin d'élaborer un
véritable projet individuel centré sur l'enfant . Au cours de l'année 1996/1997, où j'ai effectué ma première année à l'IRRSEM,
30 enfants déficients visuels étaient scolarisés et répartis ainsi:
- 11 élèves dans le 3ème cycle - 10 élèves dans le 2ème cycle - 9 élèves dans la classe dite des petits.
2.3. COMPOSITION DE MA CLASSE:
L 'effectif
lourd de cette année n'ayant pas permis à tous les élèves d'âge CP d'être
accueillis dans la seconde classe, ma classe se compose ainsi:
- 3 enfants amblyopes de niveau CP - 1 enfant amblyope multihandicapée - 5 enfants aveugles
(2 de niveau grande section, 1 de petite section, 1 enfant multihandicapé et un enfant psychotique). - 4 autres enfants sont accueillis à temps partiel avec des projets divers (2
aveugles, 2 malvoyants).
Une répartition de ces prises en charge a permis
de réduire l'effectif maximum de la classe à 10 enfants présents ensemble. Le
tableau ci-contre précise l'âge, la déficience, les troubles éventuels, les
prises en charge et le projet d'équipe élaboré en synthèse.
Prénom - Age - Statut - Déficience
-
- Troubles associés - Prises en charge - Projet
-
Abel - 10 ans - Interne
-
Amblyopie profonde évoluant vers la cécité depuis 2 ans;
hydrocéphalie
-
Déficience intellectuelle, handicap moteur: trouble de
l'équilibre; port d'un casque
-
Orthophonie; psychomotricité en petit groupe
-
L'aider à se faire une place dans le groupe
-
Guillaume - 6 ans - Interne
-
Anophtalmie cécité
-
Troubles importants du comportement,
attitude psychotique
-
Orthophonie; psychomotricité; thérapie mère/enfant
-
Ne pas
mettre les autres en danger, l'aider à maîtriser ses phobies
-
Martin - 6 ans - Interne
-
Sclérocornée congénitale; cécité
-
Hypotonique; manque de
communication
-
Orthophonie; ergothérapie
-
L'aider à grandir, à communiquer avec
les autres
-
Amélie - 6 ans - Interne
-
Atrophie optique par compression tumorale, cécité, nystagmus
-
Hypotonique ou très agitée;
-
Orthophonie; ergothérapie
-
Recentrage sur le scolaire
Sandy - 10 ans - Interne
-
Syndrôme de Stickler, myopie profonde
-
Surdité bilatérale,
malformation squelette, difformité faciale, muette
-
Psychomotricité, orthophonie
-
Bain de langage, miser sur la relation
-
Aude - 6 ans - Interne
-
Albinisme, amblyopie profonde, photophobie
-
Commencer les
apprentissages fondamentaux, intégration prévue au CE1
-
Anita - 6 ans - Interne
-
Myopie forte bilatérale, nystagmus
-
Problème neurologique, est
en famille d'accueil, très dispersée «enfant puzzle»
-
Ergothérapie,
orthophonie, psychomotricité
-
L'amener vers une disponibilité face aux
apprentissages, rassembler une personnalité éparpillée
-
Manuel - 6 ans - Interne
-
Maladie héréditaire; myopie bilatérale; Syndrôme de Marfan
-
Psycho motricité
-
Maxime - 3 ans - Interne
-
progressif Microcéphalie, cécité, nanisme harmonieux
-
Très agité; langage à acquérir, psychomotricité
-
Apprentissages fondamentaux
Maxence - 4 ans - 1 journée par semaine Albinisme général
-
Vers une prise en charge à IRSSEM ou intégration
-
Marina - 4 ans - 1 journée par semaine
-
Dégénérescence rétinienne héreditaire; restes
visuels moins de 1/20°
-
Mise au braille
-
Accueil à temps complet en grande section
-
Jordan - 3 ans - 1 journée par semaine
-
Albinisme occulaire et général; nystagmus,
photophobie, myopie corrigée
-
Très dispersé, peu de langage
-
Psychomotricité et CMPP
-
Préparer à l'accueil IRSSEM
-
Magalie - 6 ans - 2 journées /semaine; hôpital de jour
-
Rétinopathie des prématurés
-
Problème neurologique; autiste; trouble de type psychotique; aucune
communication
-
Psychomotricité
-
Maintien dans un groupe classe
-
2.4. DESCRIPTION
MATERIELLE:
La classe est vaste et lumineuse, elle possède deux portes-fenêtres et une
ouverture du plafond . Un petit local contigu sert de vestiaire et possède un
lavabo. Située au rez-de-chaussée, elle permet l'autonomie des déplacements des
enfants pour les toilettes, pour certaines prises en charge ou pour communiquer
avec d'autres classes.
Cette classe accueillait les années précédentes des enfants plus jeunes et moins
nombreux; il a fallu faire quelques adaptations dès la rentrée, en particulier
créer un coin pour les CP. L'aménagement spécifique des tables n'a pas été réalisé: plan incliné, éclairage individuel. Ex maîtresse de CP, j'étais affolée
de voir la position des enfants pour écrire (à genoux sur leur chaise pour
s'approcher de leur écrit).
Classe maternelle oblige, j'ai conservé les coins-jeux (cuisine, poupée)
existants. Le coin-coussin est devenu le coin-bibliothèque.
Trois bancs sont disposés en U pour l'accueil ou les activités de langage et de
musique/rythme.
Une table ronde composée de 4 éléments modulables au centre de la pièce est
utilisée pour les activités des enfants aveugles ainsi que (suivant les moments
de la journée) pour les activités manuelles ou plastiques. Sur une table
rectangulaire basse sont placés différents jeux accessibles librement aux
enfants non-voyants dès qu'une activité dirigée est terminée:
- grilles
de type «colorédo» - les collections dans les «maisons» - des jeux de type solitaire,
master-mind etc. - puzzles, jeux d'encastrement régulièrement changés sont également disponibles.
Le coin CP présente également des jeux accessibles librement afin que, vu
l'extrême hétérogénéité de la classe les enfants puissent de façon autonome
trouver une activité et ne pas rester passifs lorsque je ne suis pas disponible.
2.5. ORGANISATION & EMPLOI DU TEMPS:
L'organisation à la rentrée fut un véritable casse-tête pour faire en sorte que
ce petit monde trouve sa place. Les problèmes matériels réglés, il a fallu faire
face à de nombreuses difficultés liées à la configuration particulière de cette
classe:
- enfants d'âge et de niveau scolaire différents - difficulté technique avec la présence d'aveugles et d'amblyopes - gestion des enfants accueillis à temps partiel - multiplicité des prises en charge rééducatives.
L'urgence de la situation m'a permis d'obtenir la présence d'une aide (très
compétente) à temps complet alors qu'elle intervenait à mi-temps. Cette aide m'a
été précieuse, puisque je pouvais me libérer des problèmes matériels et lui
confier (sous ma responsabilité) la surveillance d'un enfant ou d'un petit
groupe.
Cette complexité de classe n'est pas marginale ou exceptionnelle, puisque la
rencontre avec d'autres professionnels m'a amenée à le vérifier. Même si les
textes limitent les effectifs des classes spécialisées à 12 élèves,
l'hétérogénéité de ce type de classe fait que la gestion d'un groupe de 10 est
lourde.
La présence d'enfants plus lourdement handicapés peut s'expliquer dans d'autres
académies par la politique d'intégration qui conduit à maintenir les enfants ne
présentant pas de pathologie lourde dans des classes ordinaires. A l'IRRSEM,
aucun critère social, culturel ou géographique n'explique donc cette situation.
La solidarité des enseignants de l'école a conduit les instituteurs des classes
de déficients auditifs à modifier leur projet de décloisonnement. En effet le
faible effectif de leurs classes a permis de «brasser» leurs élèves pour des
activités spécifiques, afin de libérer un enseignant pour prendre en charge une
heure par jour les 4 enfants aveugles de ma classe. L'objectif premier avoué étant de me libérer afin que je puisse me consacrer
dans de bonnes conditions aux apprentissages avec les CP.
L'élaboration de l'emploi du temps a été laborieuse et, après plusieurs essais,
j'ai choisi de n'y faire figurer que les domaines d'activité mais de faire
apparaître toutes les prises en charge afin qu'un éventuel remplaçant puisse
savoir le profil de la journée pour chaque enfant.
Les enfants étant lourdement handicapés, les rééducations s'en trouvent
multipliées, il faut donc «jongler» avec toutes ces données pour que chaque
enfant puisse bénéficier malgré tout de toutes les activités du groupe-classe.
2.6. QUELQUES ACTIVITES DU GROUPE CLASSE:
Sans avoir rédigé de projet de classe, ni de projet individuel, j'ai
fonctionné dans cette démarche de projet, en différenciant bien sûr ma pédagogie
ce qui était une nécessité dans ce contexte, et en adaptant les apprentissages à
chaque cas d'enfant. J'avais constitué de façon informelle un dossier pour
chaque enfant à l'intérieur duquel je rassemblais les informations le
concernant, les rapports de synthèse, les évaluations. Ce dossier était complété
par des observations continues portant sur divers aspects: apprentissages,
attitude, visuel (observation précise demandée par l'ophtalmologiste pour Abel),
un travail d'équipe pouvait ponctuellement s'ajouter, par exemple avec
l'orthophoniste pour entreprendre une progression d'activités pour Sandy.
Avant d'aborder les activités spécifiques tactiles proposées au groupe d'enfants
aveugles, il m'a semblé souhaitable de décrire quelques activités proposées à
tout le groupe et qui m'ont paru propres à le fédérer. La très grande
hétérogénéité du groupe n'a bien sûr pas empêché la mise en place d'activités
visant à répondre à sa problématique particulière.
2.6.1.
L'ouverture vers l'extérieur:
Nous avons eu plusieurs occasions de nous ouvrir vers l'extérieur en cours
d'année: vendanges, cirque, sorties nature dans le parc voisin.
L'USEP:
Objectifs: socialisation, apprendre à vivre ensemble, découverte d'un nouvel
espace, d'un nouvel environnement.
Dans le cadre des activités USEP organisées par la ville de Reims le mercredi
matin, nous avons pu bénéficier d'un créneau de gymnastique (nous avons classe
le mercredi matin). A l'objectif sportif s'ajoute celui de la possibilité
d'intégrer mon groupe d'élèves qui est scolarisé en milieu fermé, à des enfants
non-handicapés.
Cette expérience très enrichissante se poursuit depuis plusieurs années avec
succès, et ce, en grande partie, grâce au dynamisme et à la compétence de
l'animatrice qui encadre cette activité.
Huit de mes élèves présents le mercredi matin (4 aveugles, 4 amblyopes) se
joignent à un groupe d'une quinzaine d'enfants . Malgré quelques réticences de
la part des parents des enfants «normaux», qui parfois retirent leure chère
tête blonde de l'activité, tout se déroule normalement. Après une courte période de curiosité, tout à fait légitime de la part des
enfants du club, l'intégration peut être considérée comme un succès.
Nous sommes donc 3 adultes à encadrer ce groupe: la monitrice, l'aide
maternelle et moi-même. La séquence dure une heure et tous les enfants
participent à tous les ateliers proposés, sauf contre-indication médicale: pour
Abel qui apprécie particulièrement cette sortie et à qui je propose des
activités sans risque sur un tapis.
2.6.2.
Activités au sein de l'école:
L'atelier cuisine:
Chaque anniversaire nous donne l'occasion de confectionner un gâteau. Les
recettes peuvent être apportées par les enfants, ce qui peut servir de prétexte
à une communication avec les parents, ou bien sont connues de mémoire. On les
lit, soit la maîtresse, soit les CP en cours d'année, on choisit, on établit la
liste du matériel et des ingrédients nécessaires. Tous les enfants disposeront ensuite de l'écrit en noir ou en Braille; nous
aborderons ainsi la lecture fonctionnelle.
Un espace cuisine très bien équipé est à la disposition des classes pour la
réalisation de nos recettes. Cette activité a de nombreux objectifs:
- communication avec les autres - adresse gestuelle - mémorisation - déplacement vers un autre lieu - repères dans le temps (chronologie, anniversaire, repères dans la semaine) - plaisir de faire (motivation!)
-
Hansel et Gretel:
Des moments privilégiés d'écoute d'histoires et de contes sont mis en place,
nous disposons d'une pièce bibliothèque où nous nous rassemblons chaque semaine
pour choisir un livre et écouter des histoires. Pour ce type d'enfants très perturbés et parfois perturbateurs, ce moment de
lecture plaisir st particulièrement important car il va les canaliser en leur
ouvrant la porte de l'imaginaire.
A la suite de la lecture du conte d'Hansel et Gretel,
un projet à long terme s'est mis en place et nous a conduits à construire une
maison en gâteaux. En plus de l'intérêt mobilisateur de ce projet, de multiples
compétences ont été développées au cours des différentes séquences aboutissant à
la construction:
-
langage: nous avons dû prévoir les différents produits nécessaires, comment
aller au bout de ce projet
-
lecture: comme pour les autres recettes, celle de la colle à sucre était lue.
Pour les amblyopes des images séquentielles des différentes étapes serviraient
de support à des activités de repérage
-
mathématiques et tactiles: les différents gâteaux devront être triés par
forme
-
manuelles: pour toutes les opérations nécessaires de collage, assemblage
empilage des gâteaux
-
communication: nécessité d'un travail groupe et de
communiquer: qui fait quoi, quand, comment, avec qui, pourquoi?
La
réalisation a été bloquée sur deux jours afin que (denrée périssable) dès le
troisième jour et après avoir inviter les autres classes à admirer, sentir,
effleurer notre oeuvre, nous puissions, comme les héros du conte, passer à
l'étape ô combien délicieuse de la destruction et de la dégustation de notre
maison.
L'importance de la réalisation (gâteaux et friandises diverses) nous ont permis
d'en offrir un morceau à chaque enfant de l'école, ce qui fut très valorisant
pour mes élèves.
2.7. QUELQUES
OBSERVATIONS D'ENFANTS:
Abel: 11 ans, amblyope profond à la suite d'une méningite, évolution vers la
cécité depuis 3 ans, présence de troubles importants: moteurs, en particulier
de l'équilibre; intellectuels, il régresse, est apathique, hypotonique et
somnole sur la table. Il vit très mal l'internat et la séparation avec sa
famille, hyperprotégé par sa maman maghrébine très inquiète pour la santé de cet
enfant. Il n'est heureux que s'il fait plaisir à l'adulte, il passe ses journées
à compléter des grilles. J'essaye donc de varier et de compliquer (très
lentement) les exercices proposés.
Il est le souffre-douleur d'un autre enfant et ne se défend qu'en pleurant. Pour
lui donner confiance en lui, et tenter de le faire progresser dans ses
activités, je vais lui proposer de faire le tour de la grille, de ne remplir
qu'une case sur deux, de faire le tour en ne remplissant qu'un trou sur deux
etc. Petit à petit on réduit la taille des éléments à manipuler, on va même
aborder le cubarithme et obtenir la réalisation d'une consigne précise demandant
une motricité et une discrimination plus fines. Ces victoires vont le valoriser au sein du groupe, il va s'affirmer un peu et
pourra montrer ses réalisations.
Martin: 7ans, aveugle, n'est pas en difficulté scolaire, il commence les
activités de prélecture. Par contre c'est un enfant très fragile, refusant tout
contact, tout échange avec les autres, même avec l'adulte. En début d'année, il
me met en garde: «Je ne t'aime pas, je n'aime que maman.» Il refuse bien sûr
toute manifestation d'affection et rester seul dans la cour.
Pour Quentin, ce
sera par le biais de jeux collectifs que je vais petit à petit l'aider à se
socialiser, en communiquant par l'intermédiaire de ces jeux avec ses camarades.
Cela ne s'établira pas par miracle d'un jour à l'autre, mais par une démarche
patiente et très longue. Quentin, mal dans son corps, va apprendre à bouger, il
acceptera (non sans protester au début) aussi quelques activités de gymnastique. Son langage est plaqué, stéréotypé, il répète ou dit ce que l'adulte attend, il
ne s'exprime que succinctement et, là encore, c'est avec l'aide de
l'orthophoniste que nous tenterons de débloquer ce langage.
Amélie: 7 ans, aveugle à l'âge de 2 ans des suites d'une tumeur. Elle a de
grandes difficultés dans les apprentissages, très agitée, toujours en mouvement,
tape sur la table, chantonne. C'est une enfant très gaie qui demande à
travailler mais qui n'est pas capable de soutenir un effort long, elle se
fatigue. Il va être possible de commencer les apprentissages de la lecture, mais
les acquis seront longs et peu sûrs, elle mémorise difficilement. Le manque de
tonus musculaire, la difficulté à dissocier les doigts vont freiner l'approche
de l'écriture à la Perkins. Elle se prête volontiers à toutes les propositions
d'activité, mais s'en lasse vite, les survole superficiellement. Il faut pour
Amélie lui ménager des temps de jeux, de repos: elle joue aux «coins» poupée
ou cuisine. Pour tenter de remédier au manque de tonicité, je lui propose par exemple
d'enfoncer des perles dans de la pâte à modeler (fruits sur la tarte). Ce n'est
qu'en laissant de longs moments d'autonomie à Aurélie que je pourrai tenter de
capter son attention et obtenir une progression dans ses apprentissages.
Guillaume: 7 ans, aveugle (anophtalmie); outre de nombreux blindismes, c'est
un enfant très perturbé et perturbateur. Pas vraiment étiqueté par les
psychologues, il serait en état limite entre névrose et psychose. Obsédé par
certains thèmes (météo, voitures, piles) il est capable de répéter
inlassablement des heures en écholalie la même phrase: «Il fait soleil, hein?
il fait soleil!» Très agressif, surtout envers les enfants les plus sensibles, son premier
«contrat» va être de ne pas mettre les autres en danger. Guillaume a passé sa
première année scolaire dans le couloir (il ne se sauve pas!), je m'étais donc
fixée comme objectif de lui faire accepter l'espace-classe, de le faire asseoir
à une place et de ne l'isoler qu'en cas de danger pour les autres (il sait très
bien «étrangler»!). Cris, hurlements, colères ont bien sûr accompagné ces
exigences. Guillaume n'a pas eu l'habitude qu'on lui impose quelque chose. Il
manque de repères, de limites, il se conduit en tyran chez lui et avec ses
camarades. Un travail mère /enfant vient d'être entrepris avec la
psychomotricienne et le psychologue du service. L'orthophoniste le prend en
charge 3 fois par semaine (ses séances se limitant parfois à obtenir de lui
qu'il veuille bien fermer la porte). Malgré ce sombre tableau, nous avons quand même obtenu de grandes satisfactions
avec cet enfant. Il est désormais capable d'accepter de toucher des objets,
toujours en «ronchonnant» bien sûr, alors qu'il présentait une véritable
phobie du toucher. Il prend parfois plaisir à des moments collectifs de langage
ou de musique, encore faut-il savoir saisir le moment où Guillaume est
disponible nerveusement, ses compétences intellectuelles pouvant être alors
exploitées.
Ces 4 enfants souffrent de leur situation d'internes ou de la séparation d'avec
leur famille et ce, malgré la compétence le dévouement de leurs éducateurs. Le
phénomène de groupe accentue certains de leurs troubles. Ils vivent 24 heures
sur 24 ensemble et passent leur temps à se chamailler.
D'autres enfants de la classe présentent aussi de troubles associés à leur
déficience: Anita, par exemple dans le groupe amblyope C P, est une véritable
boule de nerf, difficile à canaliser, enfant de la DDASS, mal aimée, tous les
moyens sont bons, même les pires pour attirer l'attention de l'adulte sur elle;
Maxime, un petit aveugle de 3 ans, crie, pleure, déménage la classe en quelques
minutes et, le langage n'étant pas encore bien installé, il est encore très
difficile de communiquer avec lui. Il y a surtout la présence de la petite Magalie, 7 ans, qui indépendamment de sa
cécité, présente un problème neurologique grave, son comportement autiste
perturbe et peut raviver chez d'autres élèves certains troubles. Par exemple, si
Guillaume est relativement calme, il va réagir violemment aux cris de Magalie et
va refonctionner en écholalie. Cette charge émotionnelle est difficile à gérer
pour le groupe et le bien-fondé d'une scolarisation d'une enfant comme Magalie
peut se poser. Pourtant son comportement s'est modifié sensiblement au fil de
l'année: elle ne traîne plus sa chaise, écoute avec plaisir de la musique. Mais
que d'efforts, de contraintes, de tensions pour le groupe.
Quant à Sandy, sa prise en charge a été longuement étudiée par toute l'équipe.
Cette petite fille de 10 ans amblyope, déficiente auditive et muette ne
communique pas du tout. Très farouche au début de l'année, elle ne s'asseyait
jamais près d'un autre enfant, passe maintenant gaiement d'un groupe à l'autre;
l'accès à la lecture lui étant pour l'instant impossible, elle apprécie de
s'asseoir au coin CP, ou bien elle participe aux jeux destinés aux enfants
aveugles car elle y est en situation de réussite.
Chaque enfant a sa place à l'école puisqu'il y progresse, mais une présence
scolaire de 6 heures est inadaptée à leurs troubles. Il faudrait les faire
bénéficier d'un temps éducatif, de prises en charge en petits groupes afin de
pouvoir respecter la part d'apprentissage que l'on s'est fixée pour objectif en
tenant compte de la dimension affective des troubles qu'ils présentent.
III - LA DISCRIMINATION TACTILE
3.1. LE TOUCHER
«La priorité appartient aux choses réelles que le petit aveugle ignore. S'il y
avait un programme à la maternelle, ce devrait être l'inventaire des choses
courantes de la vie. La distinction tactile d'une pomme et d'une poire, d'une
orange et d'un citron n'est-elle pas aussi éducative qu'utile?» (Henri Gauvrit cité dans l'introduction du chapitre: Connaître le monde par les mains,
Vers le dessin en relief des aveugles, M. Bonhommeau, Paris, 1979, page 49)
Cette citation me semble tout à fait pouvoir servir d'entrée en matière à ce
chapitre.
L'ultime conclusion d'Yvette Hatwell (Privation sensorielle et intelligence, p. 218) semble justifier le choix de développer longuement l'aspect tactile de la
lecture: «des mesures éducatives appropriées, en mettant fortement l'accent
sur la connaissance perceptive tactile des objets, pourraient contrebalancer les
effets négatifs d'une privation sensorielle»
Sans vouloir réduire les activités d'apprentissage de la lecture à celle de la
discrimination tactile, j'ai souhaité orienter mon propos dans ce domaine car
les enfants dont j'ai eu la charge y rencontraient de grandes difficultés. Comme
je l'ai déjà précisé, ces jeunes enfants aveugles, outre leur privation
sensorielle présentaient tous des troubles associés. Il a donc été nécessaire de
trouver de multiples ressources d'activités à individualiser pour répondre à
chaque cas.
3.1.1. Le toucher éducatif:
Comme dans les écoles ordinaires, avant les activités programmées et structurées
de l'école élémentaire, il faut que l'école maternelle fasse sa place
primordiale au toucher. Comme le soulignent Anne Serrero et Gisèle Calmy-Guyot,
(Le toucher, Favre, 1983) le toucher est le parent pauvre de l'éducation.
Celle des enfants voyants est d'ailleurs mutilante: «toucher c'est défendu,
c'est mal, c'est sensuel, c'est sale!»
Notre éducation impose à nos enfants de
«toucher avec les yeux»; ce conseil,
souvent absurde nous l'avons tous subi et le prodiguons tyranniquement. Avec des
enfants aveugles nous voilà donc: éducateurs, parents, enseignants, dans le
cheminement inverse: à savoir «toucher pour voir, pour comprendre le monde,
pour se construire.» Il nous faut apprendre à nos élèves à avoir des «yeux au
bout des doigts».
Tous les gestes usuels doivent être travaillés surtout s'il est nécessaire de
combler un manque de stimulation familiale. Il ne s'agit pas de ma part d'un
jugement mais d'une constatation que j'ai pu vérifier. Guillaume, par exemple, a
été surprotégé par sa maman; après la naissance de cet enfant unique aveugle,
le domicile a été aménagé de façon qu'il ne rencontre pas d'obstacle, les
meubles bas ont été supprimés, les objets mis hors de sa portée. Dans un souci
légitime de sécurité, beaucoup de parents restreignent l'exploration tactile
possible de leurs enfants. Même si, nous enseignants, nous devons garder ce
souci de sécurité, il nous faut multiplier les occasions de découvertes tactiles
de nos jeunes élèves.
Prendre, saisir, attraper, peser, placer, mettre, tenir, soutenir, porter,
tirer, pousser, attirer, résister, lancer, viser, frapper, piquer, presser,
tourner, visser, enrouler, accrocher, décrocher, suspendre des actions
constituant une mine de possibilités pour eux. Les activités manuelles et
plastiques élargiront et enrichiront les échantillons de possibilités.
Un projet est actuellement en cours de réalisation: je souhaite faire installer
sur un vieux meuble avec une porte, différents systèmes d'ouvertures que les
enfants pourront expérimenter: cadenas, verrous, poignées (prises diverses, à
tourner ou à appuyer), serrures avec clés. On peut imaginer un jeu de trésor
caché que l'enfant ne pourra découvrir qu'après avoir réussi à ouvrir les
différentes serrures. Plusieurs étapes de difficultés croissantes peuvent être
imaginées afin de motiver l'enfant. Ce jeu lui permettra de vérifier lui- même
s'il a réussi puisque la porte s'ouvrira.
Si cette lecture de l'environnement n'a pas été faire chez nos très jeunes
élèves, nous nous devons de leur en faire bénéficier. Pierre Gamarra (La
lecture pour quoi faire? cité par A.M. Barbier,p .52) écrit: «On ne peut lire
les livres si l'on a justement commencé à lire le monde autour de soi.».
Les lectures tactiles, pour être efficaces, viseront à économiser les efforts et
l'enfant sera amené à en faire une exploration consciente et active qui le
préparera par la suite à la lecture des dessins.
3.1.2. Les différents
touchers:
Chez l'enfant aveugle, il faut introduire très tôt, deux
aspects fondamentaux de l'exploration: d'une part savoir toucher, d'autre part
savoir comment toucher.
Le choix de la stratégie exploratoire dépend des informations que souhaite
s'approprier l'enfant. Il agira différemment pour découvrir un objet ou sa
localisation, une texture ou une grandeur.: «Il n'y a pas de bonne stratégie
en soi, mais seulement par rapport à la finalité de l'acte perceptivo-cognitif
dans lequel elle est insérée.». (Y Hatwell, Toucher l'espace, P.U. Lille,
1980). La main va apprendre à toucher les objets en les frôlant afin d'obtenir
un maximum d'informations sur ceux-ci, contrairement à une pression forte
qu'exerce en premier les jeunes enfants .
Hippins (1935, cité par M . Bonhommeau) distingue:
-
le toucher glissant: reconnaissance le la matière, des qualités de surface
-
le toucher balayant: avec les 3 doigts du milieu qui permettent de déterminer
le tour, les dimensions, les proportions
-
le toucher à la fois glissant et balayant avec le pouce en opposition qui
précise les données précédentes
-
le toucher préhensif qui permet l'appréciation des mouvements.
Il faut tenir compte de l'effort considérable que demande cette exploration aux
aveugles.~L'observation d'un objet au toucher renseigne sur
-
sa forme
-
ses dimensions, ses proportions
-
son poids
-
la matière qui le constitue, sa résistance, ses aspects (lisse, poli, rugueux,
velu, visqueux, collant, froid, chaud)
-
le déplacement du mouvement propre.
Pierre Henri écrit:
«L'aveugle veut plutôt savoir que se documenter sur la
chose.» (cité par M.. Bonhommeau)
3.1.3. Les phobies du toucher:
Certains enfants peuvent présenter de véritables phobies du toucher; ce
phénomène qui peut paraître contradictoire avec un éducation qui va être
essentiellement orientée vers le tactile, s'explique par la méfiance qui peut
aller jusqu'à la terreur de l'inconnu. Nous mêmes, mis en situation de toucher
des objets inconnus sans l'aide de la vue, sommes souvent désemparés et très
réticents à ce genre d'expérience.
La phobie peut être de certaines matières seulement, un de mes élèves refusait
de toucher du papier, le toucher léger du bout des doigts lui était
insupportable, il froissait ou jetait ce qui lui était proposé. Il a fallu pour
cet enfant mettre en place des activités spécifiques au cours de travaux manuels
où, par exemple il avait à justement déchirer ou froisser des morceaux de
papier. Très lentement, il a réussi à canaliser ses angoisses et aborder
prudemment, car les victoires sont fragiles pour ce type d'enfants, les premiers
jeux de prélecture sur papier.
Magalie, quant à elle, présente une phobie de tout, elle refuse tout contact
avec objets, nourriture; par contre, elle accepte bien les soins corporels qui
lui sont prodigués et c'est à travers les changes ou la toilette qu'elle
apprécie que nous allons la faire entrer en contact avec de nouvelles matières.
Lors d'un entretion, une collègue éducatrice m'a rapporté l'expérience conduite
avec une petite fille qui n'acceptait que de toucher de l'eau. Elle lui a
épaissi très progressivement cette eau avec de la farine et l'enfant a peu à peu
malaxé cette eau devenue pâte.
3.2. RECONNAISSANCE DES MATIERES:
Ces activités proposées aux plus jeunes de mes élèves peuvent également faire
l'objet d'activités accessibles librement pour le plaisir des plus grands ou
bien ces jeux peuvent servir de support à des jeux collectifs.
Dans le cas spécifique de ma classe, ils étaient particulièrement destinés à
Maxime, (3ans et demi), et à Marina (4 ans) pour qui, par contre, il était
nécessaire d'utiliser un sac opaque car elle utilisait ses restes visuels
(restes visuels que j'exploitais à d'autres moments bien sûr).
3.2.1.
Découverte:
Au coin coussin, l'enfant dispose de tout un échantillon de tissus et matières
diverses déposées en vrac dans une boîte, sans être collés sur un support.
L'enfant peut donc utiliser tous les registres de ses possibilités pour en faire
l'exploration. Il peut les malaxer, les froisser, les lancer, les ranger, se
caresser les joues avec, utiliser toute sa main pour une approche tactile,
éventuellement les sentir, écouter leur «bruit» en les grattant, chiffonnant etc., les goûter: ce qu'on peut dans un premier temps admettre, pour ensuite
«censurer» au cours d'activités plus directives où l'enfant ne devra que
recueillir des informations tactiles. On peut dans un même temps enrichir le vocabulaire de l'enfant, en verbalisant
les sensations éprouvées: doux, piquant, rugueux, mou, froid, etc. On l'incitera
à toutes sortes d'approches: gratter, frotter, caresser, secouer, tapoter etc.
3.2.2. Tri tactile:
Matériel:
Support:
- formes cartonnées carrées (10x10)
- ronds en bois Matières:
- tissus divers, toile de jute, papier de verre, mousse, moquette,
côté vert du scotch-brite, cuir, toile cirée etc.
Identification des
matières: Ces matières sont connues puisque déjà manipulées. Progression: 1. Toucher la matière collée sur support, l'identifier si le nom est connu ou la
retrouver dans la boîte «découverte». 2. Retrouver deux matières identiques: sur support carton, les matières étant
très différentes et facilement discriminables.
Tri: augmenter progressivement les nombre de matières, pour affiner le toucher
et la difficulté à les discriminer (on peut parvenir à un tri de différents
grains de papier de verre et même différents reliefs de papier peint).
L'enfant devra trouver et superposer deux matières identiques. Les modèles sont fixés sur la table par du «gom-fix», ceux à apparier sont
dans une boîte. Pour tous les jeux à proposer à mes élèves, il m'a fallu très
vite pallier la difficulté qu'ils rencontraient à retrouver les objets sur une
surface non limitée ou à jouer avec des objets fixés qui se dispersent. On peut
également imaginer un système de fixation magnétique.
Ces jeux devront être répétés souvent, régulièrement. J'ai constaté que les
enfants non-voyants appréciaient la répétition des jeux, contrairement à
beaucoup d'enfants voyants qui sont avides de nouveautés.
Maxime, en particulier, réclamait le jeu de la
«moquette à maman». C'est en
ajoutant un caractère affectif à certaines matières que je l'intéressais à cette
activité, et il s'amusait beaucoup à retrouver ce qui gratte comme le tampon à
vaisselle ou bien du «bouchon».
Les jeux collectifs:
Avec ces matières, nous pourrons par la suite installer des dominos tactiles et
instaurer des jeux collectifs à règle, où l'enfant devra tenir compte des autres; phase difficile: l'enfant non-voyant s'ennuie quand les autres jouent car il
ne peut faire de vérification visuelle de la progression du jeu. Notre rôle sera
donc de faire des commentaires verbaux suffisamment passionnants pour stimuler
l'action et ménager le suspens, moteur de l'intérêt pour les jeux collectifs.
Les enfants pourront par la suite communiquer eux-mêmes leur activité aux
autres et animer le jeu en autonomie. Je n'ai pu parvenir à cette phase avec mes
élèves, et je n'ai pu installer que des jeux collectifs avec deux enfants
maximum.
D'autres dominos et lotos tactiles du commerce sont dans la classe mais ne sont
pas tous satisfaisants. Par exemple un loto ou 2 critères de tris sont associés
(forme et relief, et un domino tactile trop petit et trop complexe.
Il serait intéressant, pour, d'une part diminuer le coût des jeux du commerce,
et, d'autre part, pour mettre en place un échange avec l'extérieur, de faire
fabriquer des jeux par des élèves des classes de SEGPA (projet que je compte
faire aboutir l'an prochain).
Les reliefs:
Des activités plus dirigées vers la pré-lecture feront suite à ces jeux. Des
fiches réalisées en D.A.O. proposeront aux enfants des jeux de discrimination
tactile sur papier thermoformé avec une progression de difficulté dans les
reliefs et les quantités de formes proposées. L'enfant dans cette phase, n'aura
donc plus que le relief comme critère discriminatoire, tous les autres éléments
liés à la texture de la matière se trouvant supprimés.
3.3. LES
COLLECTIONS:
Matériel: Maisons en bois utilisées pour des collections de miniatures et
achetées à faible coût dans des solderies.
Exemples d'objets à collectionner:
- animaux miniatures - boutons - miniatures à parfum souvent peu fragiles - boucles d'oreille ou bagues - jouets divers de petite dimension (voitures, play-mobil, briques de légo
etc. )
Je n'ai pas constaté de lassitude et ce sont des jeux que les grands allaient
volontiers chercher, les enfants amblyopes devant utiliser des sacs opaques si
je souhaitais faire un exercice tactile avec eux. Les différents jeux de kim ou
tactiles leur étaient d'ailleurs accessibles et il était intéressant de
valoriser ainsi les performances souvent meilleures de non-voyants.
Pour les enfants ayant des troubles de comportement importants, il faut parfois
mettre en place différents stratagèmes pour les canaliser, capter leur
attention. Par exemple raconter une histoire sur les animaux qui voudraient
vivre ensemble; pour Aurélie qui a un frère jumeau, je proposais un jeu de
jumeaux.
Quelle que soit l'activité, il est bien évident qu'avec ces enfants, rien n'est
jamais acquis; l'évaluation des apprentissages en est d'ailleurs difficile car
l'enfant est rarement capable de réussir le même jeu deux fois de suite suivant
son état d'anxiété ou d'agressivité avant d'entrer en classe.
Gauthier passait toujours par une phase de refus de cette activité, refusant
tout contact avec la «maison» ou les objets à ranger. Mais, comme il adorait
rentrer en compétition avec un de ses camarades, j'organisais des concours de
rangement. (ce stratagème ne «marchait» pas à chaque fois). J'ai constaté que
les enfants préféraient en général trier eux-mêmes les objets et les mettre
ensuite par deux dans les cases, plutôt que de retrouver le même objet que celui
déjà placé. Sans doute parce qu'ils peuvent ainsi choisir l'organisation de la «maison» à leur convenance.
3.4. DE L'OBJET AU POINT
BRAILLE:
Matériel: différents objets très facilement identifiable au début par les
enfants et faisant partie de leur environnement familier. Exemples: ciseaux,
pinceaux, couteau, cuillère, fourchette, etc. tout objet qui pourra être
thermoformé. Il faut dons éviter les objets trop volumineux ou risquant de
fondre.
Progression: Les activités proposées viseront à faire prendre conscience à l'enfant des
propriétés tactiles des objets de plus en plus finement.
-
identification de 5 objets connus, très différents (bouton, ciseaux, pinceau,
fourchette, écheveau de coton)
-
reconnaissance tactile de ces mêmes objets fixés sur une table, l'enfant ne
pourra les identifier qu'avec un toucher balayant (plus de poids)
-
identification à travers un sac, ce qui ôte encore certaines propriétés aux
objets (chaleur, texture)
-
identification après passage au thermoform
-
forme des objets thermoformée (carton d'une seule épaisseur)
-
contour des objets dessiné (avec un trait plein, et avec des points au
poinçon)
On peut imaginer toute sorte de variantes augmentant la difficulté de ces
activités: objets ayant des propriétés proches; on peut réduire la taille
réelle de l'objet lors des dernières étapes, l'enfant ne devant alors que
s'occuper de la forme distinctive de l'objet sans avoir de critère de taille
pour l'aider, le bouton pourra être plus grand que les ciseaux etc.
Martina eu du mal à franchir cette étape d'abstraction, il n'admettait pas que
ce que je lui faisais toucher soit la représentation de l'objet touché avant.
Pour l'en convaincre, on est passé par des moulages de ces mêmes objets dans la
pâte à modeler. Il suivait avec moi le contour d'un objet à la roulette (aucun
enfant ne maîtrisait cet outil) pour ensuite en découvrir le contour. Il a été
encore plus difficile de passer à l'étape de la modification de la taille de
l'objet. Pour les enfants voyants, qui ont toujours eu sous les yeux des images
représentatives de la réalité, cette étape est évidente; on comparait donc avec
les jeux qu'il connaissait: modèles réduits de voiture, poupées.
On comprend toute la difficulté à l'accès de la symbolisation pour les enfants
aveugles, et à l'approche du dessin en relief.
3.5. VERS LES
SIX POINTS:
Les lettres cartonnées: Je disposais, grâce à d'anciens parents d'élèves d'une
«fortune» personnelle
en formes cartonnées diverses, d'excellente qualité. J'avais fabriqué de
nombreuses cartes (dimensions d'environ 10x7 cm) représentant des lettres
braille en y collant des ronds de cartons.
Les cartes sont manipulées librement dans un premier temps, afin que l'enfant
puisse constater simplement qu'elles sont différentes. Certains élèves
souhaitaient compter les points, ce qui n'est pas toujours aisé, l'enfant
aveugle ne prenant pas de repère au début de son décompte, les erreurs sont
nombreuses.
En commençant toujours par des cartes facilement identifiables, on demande à
l'enfant de les apparier (comme pour le jeu des matières, il faudra fixer le
modèle sur la table). On augmentera progressivement la difficulté en augmentant
le nombre de cartes et les positions de points par exemple.
Ces exercices n'ont pour objectif principal, en début d'année que de faire
prendre à l'enfant des repères spatiaux. Ce n'est qu'en cours d'année, que l'on
pourra donner un nom aux lettres.
Les boîtes à oeufs: Les
oeufs étant conditionnés par boîte de six, c'est donc un outil pédagogique
exceptionnel pour les exercices de topologie. J'utilise les repères
mémo-techniques du bonhomme (épaule, hanche, pied) pour coder ou décoder la
position d'un ou plusieurs oeufs (Kinder) dans leur logement. L'enfant peut aussi compléter une boîte avec une modèle de lettre cartonnée.
Les dominos en bois:
Matériel:
- dominos en bois avec clous de tapissier - rails bois de cinquante centimètres de long, avec 3 rangées
Ce matériel fabriqué artisanalement m'a été précieux et a servi de transition
entre les cartes braille cartonnées et les planches à clous.
La démarche est la même que pour l'apprentissage des lettres à la planche à
clous, sauf que l'enfant n'a pas la difficulté motrice de placer les clous. Toujours avec le souci d'affiner la discrimination tactile des lettres, on
établit une progression dans la quantité des lettres à trier et la difficulté
liée à leur structure. L'enfant peut:
- faire une ligne d'une même lettre - recopier un mot simple au modèle ou son prénom - trouver l'intrus dans une ligne de lettres disposées par la maîtresse - continuer des suites rythmiques
Afin qu'il ne soit pas découragé par la difficulté de ce travail (nous quittons
le stade du jeu, l'enfant apprécie aussi et se trouve valorisé lorsqu'on lui
demande un véritable travail), on met à sa disposition peu de lettres en
réserve.
A ce stade d'apprentissage, il a fallu imposer aux élèves beaucoup plus de
rigueur dans leur activité: apprendre à écouter et respecter une consigne.
Seuls Amélie et Martin ont pu dépasser ce stade d'apprentissage et passer à la
planche à clous puis à l'écriture à la Perkins.
Pour Abel qui avait des difficultés importantes en motricité, il a été
impossible de manipuler des petits objets (planche à clous), ou de dissocier ses
mains pour un travail à la Perkins. Nous utilisons également la grille de
cubarihme dans les activités de prélecture.
Les jeux de prélecture sur
feuille: Pour les enfants qui ont été capable de surmonter leur phobie tactile ou bien
tout simplement leur incapacité manuelle à la discrimination fine, nous avons pu
travailler la lecture et surtout son aspect linéaire avec le type de jeux
proposés par Monsieur Guillemet.
Pour tous les élèves, il a malgré tout fallu passé par des stades intermédiaires
de type: Jeux Horus (Apprendre et jouer en touchant. Nice. S.D.). Avant
l'étude d'une page, je proposais seulement une ligne de formes par exemple pour
'ouvert/fermé'.
Je n'avais pas prévu la difficulté de passer de la lecture sur papier braille
(sur lequel je réalisais les premiers exercices), à celle sur papier thermoform. J'ajoutais aussi différents exercices, toujours sur une ligne au début, dans
lesquels l'enfant devait trouver l'intrus. Exemple: carrés tous fermés sauf un
ouvert.
Pour entraîner aussi à une lecture plus rapide je propose systématiquement ces
jeux de l'intrus par la suite, en introduisant un intrus dans une ligne de
lettres (les enfants aiment quand la maîtresse fait volontairement des bêtises
et sont souvent motivés pour trouver l'erreur).
Ces différentes activités sont donc à adapter individuellement à chaque enfant,
afin de lui faire acquérir une mémoire et une discrimination tactiles plus fines
qui le conduiront vers le braille.
Comme tous les enfants d'âge préscolaire, l'enfant aveugle doit se familiariser
avec ce nouveau code de communication qu'est la lecture. Il ne bénéficie pas
malheureusement du bain d'écrit permanent dont profitent ses camarades voyants.
Il doit souvent, en plus, surmonter de nombreuses difficultés liées au code du
braille lui-même, et surtout à une instabilité affective. Il va lui falloir du
temps, et l'enseignant aura, outre son rôle pédagogique, à installer chez cet
enfant, par une mise en situation de réussite, une confiance en lui.
Par des
situations motivantes l'enfant sera conduit et accompagné sur ce que j'ai nommé
un parcours. Petit à petit, il apprendra à en contourner les obstacles, et à en
découvrir les joies, car c'est en aimant lire qu'il en surmontera plus aisément
les nombreuses difficultés qui seront alors autant de victoires.
La classe qui m'a été confiée l'an dernier recevait des enfants aveugles
présentant des troubles associés. Il m'a semblé intéressant d'analyser cette
situation particulière. En effet, avec le recul, j'ai essayé de repréciser ma
démarche avec ces enfants. Des éléments théoriques et pratiques apportés par mes
lectures, les cours reçus lors de cette année de formation, la rencontre avec
d'autres collègues, m'ont permis d'enrichir cette expérience et d'essayer d'en
faire une analyse plus fine.
J'avais choisi de développer plus particulièrement dans ce dossier le domaine
bien spécifique à la lecture pour l'enfant aveugle, qu'est la discrimination
tactile. A travers quelques exemples d'activités, j'ai essayé de montrer que
chaque enfant pouvait progresser. Je n'ai pas cherché à établir un catalogue de
recettes, mais tout simplement décrire comment j'avais procédé dans ce que
j'oserais appeler le «feu de l'action» en y ajoutant maintenant une réflexion
plus sereine.
De toutes les conclusions que j'ai pu tirer de ce travail,
celle qui me semble réellement être la plus positive, porte sur l'enfant qui
reste le seul au coeur
de toute notre fonction. Les textes officiels nous le rappellent, j'ai rencontré
des personnes compétentes convaincues de cette nécessaire évidence. Il est vrai
que dans la réalité, les conditions matérielles ou humaines ne sont pas toujours
réunies pour nous aider dans notre démarche, mais je reste optimiste face aux
potentialités de l'enseignement spécialisé et surtout à celles des enfants qui
nous sont confiés. En réalisant un projet cohérent pour et autour de l'enfant,
en analysant tout le système qui gravite autour de lui, nous pourrons le faire
accéder à la lecture puisque telle est notre objectif d'enseignant, mais
surtout, nous rassemblerons autour de lui tous les éléments qui pourront, dès
son plus jeune âge, le conduire vers l'intégration sociale et, ce, quels que
soient ses troubles.
L'enfant aveugle qui aura appris à toucher, et à aimer toucher le monde autour
de lui, apprendra à son rythme, mais avec plaisir, à toucher ces fabuleux points
braille que Monsieur Guillemet avait nommés, lors d'une de ses conférences, le «rectangle de lumière».
C'est en regardant la photo de la petite Marina endormie avec un livre, que j'ai
choisi le titre de ce mémoire. Eveiller ces jeunes enfants aveugles à la
lecture, les sensibiliser par ce moyen à la vie qui les entoure, c'est pour moi,
une manière de leur apporter un peu, justement, de la lumière dont ils sont
privés.
ϟ
Δ
7-Mai-2010
publicado
por
MJA
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