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 Sobre a Deficiência Visual


Son Parfum

Frédéric Ploton

extrait

The Blind Woman - Egon Schiele, 1911
The Blind Woman - Egon Schiele, 1911
 

Il s’éleva lentement, cogné par la chaleur d’une aube qui, à l’autre bout du champ, entre les arbres, brûlait déjà. Il y eut quelques à-coups, des trous d’air, et enfin il mit les gaz, prit de l’altitude. Au-dessous, dense, encore verte, la prairie était émaillée de mille fleurs qu’il connaissait toutes par leur nom: tzilzilche, jabin, acahual, tajonal... La végétation est courte sur pattes ici, «elle peine à protéger du soleil, mais elle ne gêne pas les décollages», se dit-il. Ce devait être la bonne heure pour voler, car il entendait tout autour de lui le vrombissement de plusieurs dizaines d’autres avions. Plus bas, à peine visibles, il devinait des couples qui fêtaient le jour revenu, à l’ombre des fleurs. Alors il pensa lui aussi à elle, à sa reine, qu’il allait rejoindre et il amorça un tournant à 140° Est.

D’un revers de main mécanique, un homme chapeauté de paille arrêta net le vol du bourdon qui croisait allègrement son chemin. Sa chemise blanche, trempée, ruisselait de lumière ; il n’était pas encore cinq heures au soleil.

Comme tous les matins, Juan-Antonio Montejo sillonnait la campagne autour de San Juan, un village de cabanes à deux heures de marche de Valladolid. Le vieux cuir de ses mains ne craignait plus les insectes, surtout pas ces abeilles dont chaque Indien sait ici qu elles ne piquent pas ceux qui vivent avec elles en harmonie. Son pas lourd chassait des petits lézards qui le toisaient d’un air fier et contrarié.

— Là, Pablo, là. Aqui!

De l’ombre du vieil homme surgit un garçon, petit et brun. Le sourire distrait, il sautillait de droite et de gauche, mouche du coche parmi la nuée d’insectes. L’homme reprit, plus fort :

- Pablo, patchouli !

L’enfant sortit un sécateur d’un petit sac de toile qu’il portait comme une gibecière. Sans répondre, sans hésiter, il s’accroupit devant une plante. Il la scruta un instant, silencieux, décocha un baiser sur les feuilles odorantes ; les fleurs, elles, minuscules clochettes blanche et violette, ne sentaient rien. Puis, retenant sa respiration, il coupa la tige au plus près de la terre poussiéreuse et passa à la suivante.

À la dixième fleur, Pablo bondit sur le côté et disparut dans une trouée entre deux arbres bas, pas même un sentier. Juan-Antonio sourit. Le bourdon avait raison, c’était une belle matinée. Il rampa à sa suite sous les branchages qui s’ouvrirent sur une minuscule clairière. À peine trois ou quatre mètres de diamètre. Un tapis net et rond de fleurs blanches. Des fleurs qu’il ne connaissait pas.

— Que estan, papa Juan ?

Pablo s’était allongé. Il flottait, faisait la planche dans une onde de pétales solaires. Juan-Antonio ne lui répondit pas. Il bafouilla le prénom du garçon, puis, plus distinctement, il souffla:

— File chercher le grand sac ! Maintenant !

Resté seul, il contempla ce qu’il n’avait jamais vu. Une petite fleur blanche aux pétales veloutés, charnus et bien dessinés. On aurait dit une de ces miniatures en chocolat blanc dont les pâtissiers ornent leurs plus délicates créations. Du bout du doigt, il effleura un coeur d’un rose à peine nacré où se dressait fièrement un minuscule pistil translucide. Il s’agenouilla au milieu du parterre, tout doucement pour ne rien froisser. Saisit religieusement la base d’une fleur qu’il coupa d’un geste sec, puis la souleva vers le soleil comme une coupe. De la tige sectionnée s’échappait un liquide clair. Lait à peine teinté qui tachait pourtant déjà son pouce et son index. Il porta ses doigts sous son nez. Une fragrance aussi puissante qu’était délicate cette fleur inconnue. Un parfum de fruit vert, avec une dominante herbacée citronnée, et un fond surpuissant, inédit, métallique, oui, métallique.

Sur le chemin, Pablo perçut tout à coup un silence parfait. La nature s’était tue. Il entendit au loin éclater la voix de papa Juan, comme un rire de victoire ou comme un sanglot qui déchira la forêt. Puis à nouveau les oiseaux.

La porte de la cabane battit et s’ouvrit sur une petite pièce. À l’intérieur, l’équipement d’un laboratoire ultra- moderne contrastait avec la pauvreté d’un plancher usé et des murs blanchis à la chaux. Juan-Antonio s’assit devant l’écran de son ordinateur et tapa son message comme un diable, sans se soucier de l’enfant qui, dehors, s’était jeté en boule au creux d’un grand hamac. Sur le bureau, une horloge virtuelle lui indiqua qu’il était sept heures et douze minutes, ce jeudi 1er novembre, jour de la Toussaint. Dans un français irréprochable, il commença par un «Mon cher Jules » et, quelques cliquetis plus tard, conclut ainsi :

« C’est un jour exceptionnel, Jules, exceptionnel, de ceux qu’un vieil homme comme moi n’imagine même pas avoir encore le droit de vivre. »

« Le seul or du monde se lève chaque jour. On peut décider de ne le voir qu’une fois, ou de le voir tous les matins. »


*
**

- C’est toi, maman ?

- C’est moi, ma chérie.

Elle reconnut la voix essoufflée, la porte du rez-de-chaussée mal fermée qui claque à nouveau, les talons maternels qui cavalent dans tous les sens alors que sa mère se pique de ranger ceci ou de nettoyer cela. Elle ne pouvait s’empêcher de donner un coup de neuf, un coup de frais, à chacune de ses visites, comme si elle occupait encore ce petit pavillon de Montreuil. Un coin de calme aux portes de Paris, acheté dans les années cinquante, bien avant que les « bobos » en mal de zen urbain se ruent sur les banlieues encore préservées, à la recherche d’un brin de verdure.

- Tu fais quoi ?

- Rien, ma chérie, rien du tout... Je t’ai apporté une petite bouteille.

- On dit une miniature, maman.

- Oui, c’est ça... Jo, tu ne veux pas descendre?

- Non, toi, monte!

- Attends, je l’installe dans ta vitrine.

- C’est quoi, maman ?

- La miniature, c’est quoi ?

- Une nouveauté, un petit Gi-ven-chy!

- Pour homme ?

- Pour femme, ma chérie, pour femme...

Les aiguilles claquèrent dans l’escalier, mitraillèrent le carrelage du couloir. Sa fille, penchée sur l’écran de son ordinateur, lui tournait le dos. Ses longs cheveux bruns et raides, relevés en chignon par une baguette chinoise, dévoilaient une nuque parfaite. Ses hanches étroites étaient soulignées par un jean à taille basse ceinturé de cuir fauve. Elle portait un cachemire usé qui ne couvrait pas le creux de ses reins où dansait une ombre bleutée. À côté d’elle, posée contre la table à tréteaux qui lui servait de bureau, une canne blanche télescopique. Joséphine sentit le parfum de sa mère, pour toujours fidèle aux accords du N° 5, signes d’une féminité triomphante, parure la plus sûre d’une femme qui avait été si belle.

- Ça ne ramènera pas ton père.

Joséphine sursauta et jeta la tête en arrière.

- Pourquoi tu dis des trucs pareils, maman... ?

- Parce que je le pense. Collectionner les parfums d’homme ne...

- Mais arrête, tu mélanges tout ! Papa m’a donné le goût de ce qu’il savait le mieux faire, c’est tout, ça n’a rien à voir avec le reste.

- Peut-être... Mais tu ne m’enlèveras pas de la tête que tous ces parfums d’homme...

- Oui ?

- ... devraient être portés par un homme, voilà! s’emporta sa mère.

- Ben tiens, y’avait longtemps.

- Tu as trente ans !

- C’est une maladie ? Et puis d’abord je n’ai pas trente ans, maman, j’aurai trente ans dans six mois, alors je te propose une trêve, d’accord ? Dans six mois, tu auras le droit de te lamenter, même publiquement si tu veux, parce que ta pôôôvre fille trentenaire n’est pas mariée, ça te va? On brûlera des cierges et je m’engagerai devant notaire à me jeter sur le premier célibataire venu.

- C’est malin...

- Tu ne veux pas me masser la nuque, plutôt ?

Elle s’approcha de sa fille, posa ses mains sur ses épaules et, avec une infinie douceur, lui caressa la racine des cheveux.

- Plus fort, j’ai mal.

- Mal comment ?

- Je ne sais pas, mal, c’est venu dans la nuit, une migraine atroce, comme un truc qu’on m’arracherait de la tête.

- Tu ne veux pas aller voir Bernstein ? Ou l’autre, là ?

- Ils me saoulent, tous ces toubibs... Et puis ça va déjà mieux, tu fais des miracles.

Sa mère sourit. Elle cessa son massage et se pencha plus avant sur Joséphine, le menton sur le sommet de son crâne, les bras ballants le long de son buste.

- On y va ? Je te dépose comme d’habitude et Mathilde passe te prendre pour ta séance de pose à quatre heures.

- OK... Maman ?

- Ma chérie ?

- Tu crois aux rêves prémonitoires ?

- À ceux qui se réalisent, oui.

- Tu ne m’aides pas beaucoup.

- Pourquoi ?

- Rien, j’ai fait un drôle de rêve cette nuit...



*
**

Des notes, il y en avait plusieurs milliers dans le laboratoire de Jules. Près de cinq mille molécules, voilà sa base de travail, son matériau brut, le corps vivant et multifacette qu’il devait, jour après jour, façonner. La plupart d’entre elles, synthétiques, avaient été créées au cours du siècle passé. Les quelque cinq cents molécules naturelles avec lesquelles on se parfumait depuis l’aube de l’humanité étaient presque marginalisées. Était-il encore imaginable de produire un parfum sur la seule vertu aromatique d’une fleur ?

Qui n’a jamais pénétré dans l’antre d’un parfumeur est le plus souvent déçu par sa première visite. Des flacons à perte de vue, des étiquettes, des récipients de toutes tailles, des pages et des pages de notes, un ordinateur, parfois un vieil alambic en souvenir des techniques ancestrales, rien de bien spectaculaire. Les laboratoires où naissent les plus enivrants parfums sont les pages blanches d’un cahier de musique où des notes sont jetées en vrac. Là où le compositeur dispose de près de sept notes, le parfumeur peut piocher à loisir parmi des milliers de nuances, brutes ou composées, naturelles ou synthétiques. Lentement, par touches successives, il fera naître des accords, auxquels s’ajouteront d’autres accords, plus légers ou plus tenaces, pour donner vie, enfin, a ce qu’il est convenu d’appeler, comme en musique, une composition.

Devant l’ordinateur posé à même le fouillis, un colis de taille moyenne l’attendait. Il jeta son manteau sur une chaise. À la couleur jaune du carton, aux timbres larges et colorés, il reconnut immédiatement la provenance du paquet. Destinataire: France Fragrance, M. Jules Bazin, 60, rue du Quatre-Septembre, 75002 Paris. Expéditeur: Juan-Antonio Montejo, San Juan, Valladolid, 1024 Yucatân, Mexico. Il saccagea l’emballage pour en extraire vite un tube de plastique dur, hermétiquement fermé. À l’intérieur, assoupies et sans doute un peu secouées par le voyage, reposaient trois fleurs blanches identiques. Jules s’était toujours refusé à confier ses matières premières à des «peseurs», ces auxiliaires de laboratoire qui, dans la plupart des grandes maisons, effectuent les assemblages olfactifs réclamés par le parfumeur. De l’extraction de l’arôme brut jusqu’aux derniers essais de composition, il avait gardé l’habitude de tout faire lui-même.

Avec précaution, il posa l’objet sur un coin de son bureau qu’il dégagea d’un revers de main, puis jeta sans ménagement le carton dans une grande poubelle verte. Le bruit révéla la présence d’un poids suspect. Il s’approcha de la poubelle et sortit de l’emballage un petit bocal, ainsi qu’une enveloppe qu’il décacheta.

Cher Jules,
Vous trouverez ici, comme convenu, mon second envoi. C’est un petit miracle. J’ai dénombré au total une centaine de plants, répartis en trois zones. Desquels il faut déduire les trois plants que je vous ai envoyés. J’ai une entière confiance en l'usage que vous ferez de cette petite merveille, si la concentration naturelle est aussi exceptionnelle que nous l'imaginons vous et moi. Mais vous êtes évidemment plus compétent que moi en la matière.
Je vous ai joint une petite spécialité locale, l'un des meilleurs miels mille fleurs de la région... qui contient peut-être — qui sait — un peu de notre petite protégée !
Amicalement
Juan-Antonio


*
**


Il se saisit d’un flacon puis d’un stylo, jeta un oeil à l’écran de son ordinateur avant d’écrire sur l’étiquette, avec la plus grande minutie: «1629 / FL - Jules Bazin». Il prit une pipette, la plongea dans le récipient débouché, ponctionna quelques larmes du concentré, qu’il déposa dans une coupelle translucide. La lumière des spots donnait à chaque goutte d’étonnants reflets ambrés, qu’il dilua alors dans une abondante quantité d’alcool. Il éleva alors le mélange obtenu dans le faisceau lumineux pour l’observer à loisir, comme un oenologue admire la robe du vin qu’il s’apprête à déguster. Il apprécia d’un sourire léger la couleur chaude d’hydromel. Un index fin plongea dans le «jus», puis, d’un geste gracieux, presque féminin, vint déposer un petite trace odorante sur chacune de ses tempes. Jules adorait se baptiser de la sorte et éprouver sur sa propre peau la magie de ses créations.

***

- Je peux vous aider, mademoiselle ?

Une hôtesse lui attrapa le bras et la traîna d’autorité vers la droite du magasin, le côté hommes.

— Non, c’est bien aimable, mais je recherche un parfum féminin. Là, on est chez les hommes, non ?

Elle détestait ces bonnes âmes qui, dans les magasins ou dans la rue, se piquaient de lui venir en aide, de la conseiller, de l’orienter dans ses choix et ses mouvements. «Je suis une grande fille, je suis une grande fille», se répétait-elle pour ne pas céder à la douceur du babil et à la facilité. La vendeuse, une longue tige sèche coiffée d’un chignon serré, le sourire agrafé sur un visage trop maquillé, parut déconcertée :

— Oui, oui, tout à fait...

- Eh bien, je vous laisse, alors.

— Si vous le voulez, nous pouvons vous proposer un test en exclusivité.

- Un test ? Vous voulez dire une nouveauté ?

- Non, ce parfum n’est pas encore commercialisé, il s’agit d’un test.

- Pour décider ou non de son lancement ?

— C’est cela, voilà.

— Ça se fait, ça ? Je croyais que les parfums étaient tenus top secret...

- Écoutez, oui, c’est possible..., hésita la vendeuse.

- Je vous embête, vous faites votre boulot. Ça me surprend un peu, mais ça me dit bien, votre truc.

- Alors, vous me suivez ?

Elle conduisit Joséphine jusqu’à un espace protégé, à l’écart de l’allée centrale et des rayonnages à perte de vue. Une petite cabine s’y dressait.

- Je vais vous aider à entrer.

- À entrer ?

- Le test se fait dans la cabine. Vous serez filmée. Si vous êtes d’accord, vous signerez une autorisation, à la fin.

- Filmée ?

- Je vous rassure, il s’agit juste d’une caméra thermique, c’est anonyme.

- Et... à quoi ça sert ?

- Si j’ai bien compris, ça sert à mesurer les réactions de votre corps à l’inhalation du parfum. Vous vous asseyez, et on va diffuser trois vagues successives du parfum, de plus en plus concentré. En gros de l’eau de Cologne à l’eau de parfum.

- Bon... et après ?

- La caméra permet de voir comment votre corps s’échauffe. Plus il monte en température, plus la satisfaction est censée être grande.

- Et personne ne s’amuse à faire des cochonneries ?

- Pardon ?

- Non, rien. Laissez tomber.

- OK. Vous êtes prête ?

Derrière le rideau orange, Joséphine attendit patiemment. Elle entendait l’hôtesse se débattre avec les boutons de commande, puis appeler un collègue à la rescousse. Quelques instants plus tard, le bruit d’un compresseur fit légèrement vibrer l’habitacle, une valve s’ouvrit, une brume parfumée vint caresser son visage. Tout d’abord, elle ne sentit rien d’autre qu’une sensation de fraîcheur. Puis un effluve, résolument masculin, emplit progressivement la cabine. Le parfum montait en puissance, elle réussit à analyser la note de tête, quelque chose de frais, d’hespéridé, sans doute un agrume, doublé de bergamote peut-être.

Quand ce premier accord fut dissipé, elle se sentit envahie d’une étrange chaleur. D’autres senteurs apparurent alors sans lui laisser le temps d’analyser les effets de la première vague. Des senteurs surprenantes, inconnues, presque métalliques et pourtant étrangement familières. Impossible de convoquer les images classiques de bord de mer, de champs de fleurs ou de sous-bois. Non, cela n’appartenait à aucune de ces petites madeleines olfactives bien pratiques que chacun porte en soi, fragments d’enfance qu’un simple effluve suffit le plus souvent à raviver. Elle connaissait par coeur ces images qui apparaissent, se déroulent comme des posters, à la moindre sollicitation, puis se dissipent au premier coup de vent. Ce quelle sentait là avait ce même caractère d’évidence, bien quelle fut incapable d’y associer la moindre image.

L’impression était plus physique que cinématographique. Enfermée dans sa capsule, elle vivait le parfum par chaque pore de sa peau. Il était bien plus qu’une vapeur, il était ce mercure liquide dans lequel elle se sentait maintenant flotter. Le nez, les joues, les oreilles et le cou, puis le ventre et chaque membre, c’était une onde qui, saisie par l’odorat, rayonnait progressivement dans tout son corps. Elle s’élevait dans la cabine, merveilleusement légère et volatile.

Lorsque la troisième essence fut vaporisée, elle était déjà loin, molécule emportée par des courants d’air. À cette douceur vaporeuse, telle une brumisation d’elle-même dans l’espace, succéda une brusque concentration, une fulgurance, la douleur d’une implosion, la stridence d’un big bang inversé. Elle fut soudain incroyablement lourde, dense, porteuse de toutes les odeurs du monde, creuset de fonte où se définissait la grammaire fondamentale des odeurs. Alors, alors seulement, apparurent des images semblables aux fumerolles d’un volcan, des copeaux de lueur, des pixels fous qui voletaient et, par instants, précipitaient leur course pour la transpercer, elle. Peu à peu, Joséphine parvint à les apprivoiser: comme autant de fées Clochette, elles lui murmurèrent le secret dont elles étaient les messagers.

Une lumière orange et aveuglante, des persiennes ouvertes sur un matin d’été... la main sûre et large d’un homme qui effleure la joue d’un enfant... une fleur séchée, rare et belle, qu’on colle sur la surface vierge d’un cahier d’écolier... une bouteille qui se vide... le coffre d’une voiture rouge qui s’emplit de bagages... un bol de faïence ébréché... une table de bois brut... un sourire apaisant...

En coulisse. Sur l’écran de contrôle, les employés de sécurité de la parfumerie, mis dans la confidence, virent un corps en feu. Captée par la caméra thermique, dans une danse de pixels cramoisis, Joséphine irradiait. Sans flamme, sans mèche et sans chaleur, elle brûlait.

Dans les allées quelle sillonnait nonchalamment, la vendeuse à chignon fut tirée de sa torpeur par un agent de sécurité, un Pakistanais très menu, perdu dans un blazer trop grand et passablement agité. Habituées à leurs sollicitations les jolies hôtesses savaient éconduire avec tact les effectifs masculins du personnel. Elle lui fit un sourire poli et lui tourna le dos, reprenant une marche subtilement chaloupée entre les rayons. Lorsqu’il posa sa main, chargée d’un gros talkie, sur son avant-bras, elle manqua s’énerver, mais dans les grands yeux ourlés d’un trait noir du petit homme se lisait l’urgence. De sa main libre, il désigna la cabine. Elle grimaça d’un air entendu, comme si elle avait aussitôt identifié cette «cliente à problèmes», et suivit son collègue, plus court quelle d’une bonne vingtaine de centimètres.

À l’intérieur de la cabine, les fées s’étaient tues, le parfum s’atténuait. Joséphine vacilla sur son siège. Les pics lumineux avaient laissé la place à un voile étrange quelle ne connaissait pas, une nappe d’argent aussi vive qu’irréelle. Elle s’agrippa nerveusement au rideau, qui céda, emportant avec lui la tringle métallique. En tombant, elle eut le temps de voir, oui, de voir mille lueurs sur des flacons, et aussi le visage inquiet de l’hôtesse. La vie était là, à portée de regard, à fleur d’yeux.


*
**


Aux Quinze-Vingts, établissement réputé pour sa spécialisation en ophtalmologie, elle avait donc été suivie pendant plus de quinze ans par un certain Docteur Marron, un homme chaud, rassurant, familier, le Pr Bernstein. Quand il prit sa retraite, il céda sa place et ses dossiers à un insipide Docteur Beigeasse, le Dr Philippe Mialet.

Beigeasse ne lui inspirait pas confiance avec ses sentences froides et sa science trop fraîche, trop propre. Lorsqu’elle lui avait annoncé dans une sorte de transe quelle avait vu, «oui, je dis bien vu», cet après-midi même, dans une parfumerie, juste au moment où les molécules odorantes d’un nouveau parfum avaient atteint son nez, il était resté parfaitement silencieux. Elle venait de lui expliquer quelle avait vu les flacons, vu le tapis rouge vif au sol du magasin, vu les ombres des clients et des touristes, vu le visage et le rouge à lèvres fuchsia de la vendeuse qui lui avait pris le bras en lui demandant: «Tout va bien, mademoiselle?», et il n’avait eu aucune réaction. Un mur, le Docteur Beigeasse.

- Croyez-vous au pouvoir des odeurs ?

- Le pouvoir... ?

- De guérir!

- Nous y voilà, dit-il d’un air consterné.

- Ce parfum était sur le point de me guérir !

- Vous n’avez pas vu, Joséphine, vous ne pouvez pas voir, et vous obstiner ne...

- J’ai vu des images !

- Des images vous sont apparues, cela ne fait pas de vous pour autant une femme qui voit, vous le savez. Je dirais même que vous êtes bien placée pour savoir qu’il n’y a pas un jour où vous ne fassiez la différence entre percevoir et voir.

Il regretta cette dernière phrase, mais les mots avaient produit leur effet.

Ce sont des souvenirs, produits par une émotion forte. Pour vous, c’est un parfum; pour un autre, ce sera un son, peut-être une voix...

- C’est parce que je suis aveugle, ou vous prenez tous vos patients pour des billes ?

-Joséphine...

- Ecoutez, j’ai perdu la vue il y a dix-sept ans, vous m’entendez, dix-sept ans... Vous croyez que je n’en ai pas eu, des émotions, en dix-sept ans, et des images en pagaille? C’est Spielberg en continu, là-dedans! Vous ne croyez pas que dans le trou noir qu’est ma putain de vie j’en ai pas vu, des étoiles Filantes à la con?

Elle s’était levée et se tenait la tête entre les mains avec une véhémence que le médecin ne lui connaissait pas. Il ne la suivait que depuis quelques mois, mais le dossier médical de la jeune femme n’avait pas de secret pour lui : perte brutale de la vue à douze ans, classement en catégorie 4 de malvoyance la première année, puis en catégorie 5 dès la deuxième, la catégorie du non-retour, celle qui, selon la classification officielle de l’OMS, rime avec absence totale de perception lumineuse, pas même une lueur, pas même une ombre. Juste la nuit. Diabète, glaucome, cataracte, décollement de la rétine, dégénérescence maculaire, aucune maladie, aucune affection particulière n’avait permis à l’époque d’expliquer un tel processus chez une petite Fille pleine de vie. Les yeux eux-mêmes n’étaient pas en cause. L’atteinte semblait neurologique. Cécité corticale, avaient savamment décidé les mandarins de l’époque, le bon Docteur Marron en tête, sans pour autant comprendre ni expliquer à sa mère comment ce trouble, d’ordinaire provisoire et lié à un état traumatique, pouvait s’agripper ainsi à la fluette gamine.

- Il n’y a pas un jour où je ne torde le cou à l’espoir, cette saloperie d’espoir qui vous cloue au lit et vous fait attendre le petit Jésus, vous comprenez? Pas un jour où je ne me répète que ma vie, c’est ça, rien que ça, et que c’est le pied !

Elle se laissa tomber sur la chaise. Le travail de deuil, c’était bien tous les matins quelle le reprenait à zéro.

— Alors, désolée pour vos petites démonstrations sado-maso, mais je sais faire la différence entre des images et...

— Et la réalité ?

- Oui.

- Je n’ai jamais dit que ces images étaient moins réelles que ce que je vois, Joséphine. Elles sont votre réalité... mais rien que la vôtre. C’est là toute la différence...

- Vous me faites chier, docteur..., conclut-elle doucement.

C’était dit sans la moindre violence, comme un long soupir. Il ne répondit pas. Cette jeune femme, belle à se damner, lui crachait toute sa douleur au visage, et c’était bien le moindre de ses privilèges que de l’exprimer avec ces mots-là. Lui ne savait que taire son impuissance. Il se devait, il lui devait, de tuer dans l’oeuf les rêves quelle pouvait nourrir. Mais que lui dire, au juste ? Qu’il savait, lui, comme tous ses confrères, que son type de cécité s’accompagnait classiquement d’hallucinations ? Que, faute de détérioration de l’appareil oculaire et en l’absence de douleur, il était presque normal d’entendre ces aveugles-là raconter leurs visions comme si de rien n’était, comme si le film de la vie continuait, dans la salle très privée qui était désormais la leur ? Tout cela, elle le savait, tout cela lui avait été répété à maintes reprises par son prédécesseur. Le soudain acharnement de Joséphine, intelligente, informée, raisonnable, à clamer sa vérité entamait presque ses convictions scientifiques.

Il se souvenait bien de quelques heures de cours, à la fin de ses études de médecine générale, consacrées à l’aromathérapie. Le pouvoir des odeurs... Hippocrate lui-même, le patron des médecins du monde entier, avait cru en sa puissance. Il se souvenait aussi de ce carabin latin, Celse, le «Cicéron de la médecine», auteur d’un traité sur l’usage thérapeutique des fleurs odorantes. Mais quoi? C’était une époque où l’on embaumait encore les morts, une époque où l’on pensait que les parfums étaient le véhicule qui transporterait les défunts sans encombre vers l’au-delà. « 1348, retenez bien cette date, jeunes gens. La grande peste noire. Comment pensez-vous qu’on lutta à l’époque contre ce fléau? Hein... si ce n’est par des fumigations de benjoin pour purifier l’air. » On sait avec quel succès. Des millions de morts, près du tiers de la population européenne décimé. Non, rien à faire, le message ne passait pas. Le pouvoir des odeurs ? Quel pouvoir ?

Il sortit de sa rêverie et reprit, sur son ton d’enfant triste et sage.

— Ecoutez, on va se calmer et tranquillement attendre les résultats des examens d’aujourd’hui. Apparemment, il n’y a aucune anomalie sur le scanner. Mais je ne vous lâche pas comme ça, je vous propose qu’on se revoie dans quelques semaines, après les fêtes...

Elle ne l’écoutait plus vraiment. Et pourtant il lui fit songer que, toute à son « émotion », elle n’avait acheté aucun de ses cadeaux parfumés. Il avait sorti un carnet d’ordonnances sur lequel il griffonnait avec application.

— Et puis, on va un peu augmenter les doses de votre traitement habituel, hein... Vous avez besoin de calme.

Les doses. Mais oui, LA dose! C’était ça, ce carabin avait raison, la dose, c’était bien le problème ! Les capteurs de son nez n’avaient fait qu’effleurer le parfum, dans sa concentration la plus faible. Petite dose, petits effets. Un flash, quelques images, mais si elle s’aspergeait des pieds à la tête, alors elle le sentirait en permanence, ce parfum, et alors... Elle bondit de sa chaise, fit claquer l’élastique qui redonna soudainement vie à sa canne blanche et sortit sans préavis de la pièce en lançant :

— Docteur... Vous êtes génial!

Il demeura quelques secondes le bras tendu, la prescription en berne devant lui. Elle repassa la tête par la porte, baissa ses lunettes sur le bout de son nez, montrant ses yeux verts, intacts.

- Finalement, vous n’êtes pas si beige que ça, hein! Essayez quelque chose de plus chaud, un boisé, ou un cuir... Tiens, par exemple, Bel Ami, ça vous ira très bien!

***

Si seulement il avait été là, si seulement il était autre chose qu’une ombre, une belle figure absente, invariablement absente. Mort? Qui pouvait le dire? Quelques mois avant quelle ne perde la vue, Louis Beaux avait disparu de sa vie de petite fille. Les médecins n’avaient pas manqué d’établir un lien de causalité direct entre les deux événements. Un rapprochement quelle niait haut et fort, mais qui crevait pourtant les yeux. Ses yeux. «Je ne suis pas aveugle “à cause de mon père ”, je suis aveugle “POUR” mon père», avait-elle clamé un jour à Mathilde, qui lui opposait cette sempiternelle et simpliste théorie. «Ce n’est pas une privation, c’est un don. Je lui donne ce sens qui ne me sert à rien. »

- Comment tu peux dire ça, Jo ? ! On ne fait pas cadeau de quelque chose d’aussi essentiel !

-Si.

- Et pourquoi s’il te plaît? Tu peux me dire ce qu’il fa donné en retour? Hein? Et ne me dis pas «la vie», pas à moi...

- Mon nez !

Mathilde l’avait un instant considérée avec sérieux, puis avait explosé de rire, en rouant son amie de coups d’oreiller.

- Ton nez? Tu vas voir ce que j’en fais, de ton nez, moi!

Mais les chahuts d’adolescentes ne suffisaient pas toujours à calmer la douleur. Suzanne et Joséphine s’aimaient d’un amour vrai, mais peu disert. La mère était impuissante à combler chez sa fille ce vide immense, démultiplié par la nuit, ce noir infini où les cris, les soirs de cauchemar, ricochaient et se cognaient sans jamais atteindre leur cible. Celle-ci avait fui... Discrète... ou coupable? Suzanne n’avait jamais expliqué à Jo les obscures raisons qui avaient conduit Louis à disparaître de la sorte. Enfant, elle avait surpris quelques conversations téléphoniques, tapie contre la rambarde de l’escalier, le visage pris entre les barreaux pour conjurer la peur. Sa mère y parlait de méprise, parfois de conspiration. Elle comprit à demi-mot qu’on avait volontairement compromis la réputation de son père, et que l’homme profondément droit qu’il était ne l’avait pas supporté. Les maîtres parfumeurs, ceux qu’on appelle vulgairement les «nez», constituent une confrérie sans équivalent: une corporation qui se considère elle- même plutôt comme un club privé, ou une société secrète, et dont les membres sont tenus par une sorte de code d’honneur, une charte non écrite, mais que chacun respecte à la lettre. Plus encore que le jugement de ses pairs, Louis Beaux craignait que la rumeur dont il était l’objet n’entache leur confrérie. En s’évanouissant, il n’avait fait que sectionner le membre gangrené qui menaçait l’ensemble du corps: lui- même. Et sans doute chacun de ses confrères en aurait-il fait autant, en de telles circonstances.

Outre son amour des parfums, Louis avait laissé à sa fille son pavillon de famille à Montreuil, une vieille bâtisse en meulière qui portait ses années avec charme. Voilà. C’était bien tout. Dix-sept années de silence, d’inconnu, de rares espoirs et d’une lente résignation. Et aujourd’hui, le seul homme au monde capable de la comprendre, le seul capable d’analyser ce parfum et ses effets errait peut-être de l’autre côté de l’Atlantique. Mais avait-elle seulement le droit d’y croire ?

Dans son salon, quelle n’éclairait que pour rassurer les voisins et dissuader les rôdeurs, elle poussa le son de la chaîne, un vieux matériel audiophile. Dix fois, vingt fois, elle remit le même morceau, préférant actionner d’un doigt le retour arrière de la télécommande que de recourir à la fonction de répétition du lecteur.

I want to know what its like, in the inside oflove

Standing at the gâte, I see the beauty ahove...

Elle avait téléchargé le morceau sur Internet, parmi beaucoup d’autres, afin de composer d’interminables compilations. Quatre-vingts minutes de chansons tristes par galette, des dizaines de CD chaque mois. Elle pouvait bien s’offrir cette petite fantaisie illégale, tous les plaisirs autorisés lui étant interdits.
 

***

Suzanne eut toutes les peines du monde à convaincre sa fille. Il fallait qu’un tel hommage soit rendu à son père pour quelle accepte de sortir de sa torpeur, et de sortir tout court. Ce quelle ne dit pas à sa mère, c’est quelle avait pris comme un signe de son père cette invitation inattendue. Louis Beaux avait été un homme secret, du genre à établir la frontière la plus étanche possible entre sa vie professionnelle et sa vie privée. Joséphine, à tous points de vue, était demeurée du côté sombre, hors de la lumière et des aspects clinquants de son métier, sans contact avec ses anciennes relations d’affaires. Beaucoup allaient jusqu’à ignorer qu’il avait une fille, plus rares encore étaient ceux qui la savaient aveugle, et, faute d’occasions, aucun n’avait pu apprécier sa beauté. Tous eurent cette chance, ce soir-là.

Suzanne avait ajusté pour elle l’une de ses robes de jeunesse, un satin rose coupé comme une fleur et signé Nina Ricci.

— Le rose rend les hommes dingues, ma chérie, c’est prouvé, avait cru bon de préciser sa mère.

-Ah, bon... répondit-elle évasivement.

— Mais oui, c’est la seule couleur qu’ils ne portent pas, ou presque pas, pour eux c’est la féminité incarnée, ça les rend...

Une aiguille à la main, elle mima un petit chien les pattes levées et la langue pendante qui, par son seul halètement, fit rire la jeune femme.

L’Osmothèque de Versailles comprend, dans un vaste parc arboré, plusieurs bâtiments. Les plus anciens, de belles villas datant du début du siècle dernier, abritent des services administratifs et des salles de réception. Derrière, au bout d’une petite allée, un ensemble moderne, verre et acier, accueille les étudiants de l’Isipca, seule école de parfumerie renommée en France. En sous-sol, dans une pièce aveugle et maintenue à une température constante de 12 °C sont conservés les trésors de l’Osmothèque.

Lorsqu’elles entrèrent dans la salle de gala, bras dessus bras dessous, plusieurs dizaines de petits chiens retinrent leur souffle. Une onde silencieuse se propagea dans l’assemblée, puis, à mesure qu’elles progressaient, Joséphine entendit les petits bonds de côté caractéristiques des inconnus qui évitaient sa canne.


*
**


Elle bouscula plusieurs personnes, fonça tête baissée dans un inconnu, trébucha, fut projetée malgré elle contre le torse large. Il ne dit rien. Mais elle sentit sur ses épaules deux mains puissantes et sûres qui tentaient de la retenir.

Habituée à chasser des aides aussi secourables qu’importunes, comme de grosses mouches parasites, elle se dégagea d’un mouvement coulé et chercha à tâtons la table où, pour se donner une contenance, elle se saisit nerveusement d’un flacon.

Le flacon que Jules venait d’y poser n’avait pourtant pas la même forme que les précieux écrins de démonstration utilisés pour cette soirée de gala. Plus court et plus trapu, il portait cette mention manuscrite, quelle ne pouvait lire: « 1629 / FF — Jules Bazin».

À peine eut-elle le temps de le déboucher que l’homme posa une main secourable sur son bras, comme une interrogation silencieuse. Les fées chantèrent à nouveau pour elle, rien que pour elle. Ce fut une vague, cette fois. Rien à voir avec la lente montée quelle avait connue sur les Champs- Elysées. Le parfum. Comme deux spirales qui s’élevaient dans l’air, le parfum, vrille d’ADN odorant qui mêlait la force brute du concentré à son exhalation plus fine, chauffée au contact d’une peau, démultipliée par le buvard vivant qu’était cet homme. C’était à la fois plus subtil et beaucoup plus fort que la première fois. Le parfum. Pétrifiée, elle entendit la fragrance lui murmurer :

— Regarde... regarde... ouvre les yeux... Maintenant!

Elle lâcha le flacon qui claqua sur le plateau vitré de la table. Elle se sut à l’origine de son propre monde. Un grondement inédit l’emplissait tout entière. Malgré l’angoisse, malgré la peur de l’inconnu, malgré l’appel du confort passé, elle n’avait d’autre choix que d’obtempérer. Derrière un voile noir, après de longues nappes de brumes colorées, dans un décor d’éther, un visage grave, brun, beau, des cheveux noirs et longs. C’était donc lui. À quelques centimètres d’elle, il la regardait, intensément, une onde de surprise et d’inquiétude dans les yeux. Il existait. C’était lui, le magicien. L’homme qui redonne la vue, la vie. Il entrouvrit les lèvres et laissa échapper un soupir. Il n’était encore personne et déjà il était tout. En une seconde, elle sonda son visage, s’émerveilla de son front calme, de ses quelques rides sages, de sa bouche noble. Il avait la carrure des bâtisseurs de rêves et c’était tout juste ce quelle demandait. Elle se vit lui sourire, et aussi vaciller; le satin rose de la robe dansa par-dessus sa tête comme une fleur trop vite éclose, puis plus rien. Puis le noir, à nouveau.

FIN
 

Son parfum


Joséphine Beaux, dite Jo, a trente ans. Elle est vive, insolente et drôle. Sa beauté stupéfie les hommes, mais si ses yeux verts sont immenses, ils sont inutiles. Jo est aveugle. Cécité neurologique. Jules Bazin, quarante ans, est sourd de naissance. Profession : nez de la société France-Fragrance. Un jour, Jules reçoit d'Amérique du Sud une fleur très rare dont les fragrances étranges, métalliques, l'envoûtent. Il compose un parfum à la hauteur de son enthousiasme et le met aussitôt en test dans la plus grande parfumerie des Champs-Elysées. Jo est en train d'y faire ses achats de Noël... Soumise à un essai, la jeune femme recouvre la vue pour quelques minutes. Elle n'aura désormais qu'un seul désir : retrouver le créateur de ce philtre magique.

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Frédéric Ploton
SON PARFUM
-extrait-
Éditions Ramsay
Paris, 2006.

 


Δ

8.Jun.2024
Publicado por MJA