Ξ  

 

 Sobre a Deficiência Visual


Au Cinéma Lux

Janine Teisson

extraits

imagem da capa do livro Au Cinéma Lux
 

Marine et Mathieu, deux passionnés de films anciens, se rencontrent régulièrement au cinéma Lux. Au fil des semaines, ils vont se plaire et tomber amoureux l'un de l'autre. Banal? Pas vraiment, car ils sont aveugles et cherchent à se le cacher réciproquement... Jusqu'au jour où ils ne pourront plus tricher.


Mercredi 12 février

Ce mercredi, la séance de dix-huit heures avait commencé depuis une vingtaine de minutes lorsque la voix de Nathalie Wood a fait «Sszwiout», l'écran est devenu noir et tout le monde a crié: «Hooo!». West Side Story avait des ratés.

La jeune fille assise près de Mathieu à fait «Ho!» comme les autres. Et, comme depuis le début de la séance il ne parvenait pas à se concentrer à cause de sonparfum - le même que la dernière fois -, parce qu'il l'avait entendue chantonner les airs de Leonard Bernstein, pour meubler le silence pendant la panne, il lui a dit:

— Mercredi dernier, vous êtes venue voir Ben Hur, n'est-ce pas, mademoiselle?

— Oui.

— J'étais à côté de vous.

— Ah?

— Vous ne m'avez pas reconnu. Moi, j'avoue que c'est surtout votre parfum que j'ai reconnu.

— Il vous gêne?

— Oh non, certainement pas! Mais je n’ai jamais senti un tel mélange de fleurs.

La jeune fille a ri.

— C'est un parfum unique. Et secret. Un mélange que fait ma grand-mère. Elle dit que c’est souverain pour les blondes!

— Elle à raison, votre grand-mère.

Aussitôt elle a pensé: «Mais pourquoi je lui ai répondu, à celui-là? Pourquoi je lui raconte ma vie? Encore un de ces types hypnotisés par mes cheveux blonds, qui va me harceler pendant des heures, me suivre à la sortie, me gâcher le peu de plaisir que. Je vais me les couper, ces cheveux, me raser la tête. De toute façon, quelle importance, pour moi? Mère-grand en tombera raide, c’est sûr.»

— Je ne vous fais pas peur, j'espère?

— Non.

Elle était sincère. C'était la première fois depuis longtemps qu’elle parlait presque librement à un homme qu’elle ne connaissait pas.

D'habitude, elle ne répondait pas, élle changeait de place ou elle fuyait. Elle avait peur. Dès qu'ils lui adressaient la parole elle sentait le piège qui se refermait.

Leurs discours mielleux, leur fausse gentillesse la dégoûtaient.

Mais même celui-ci, dont la voix ne la mettait pas en alerte, comment savoir s’il était inoffensif ou s’il masquait une nervosité de chasseur? Elle avait perdu tous ses repères.

Pourquoi, en cet instant, assise près de cet inconnu, n'avait-elle aucune méfiance? Elle s'en étonnait: «C’est peut-être parce u’il est plus hypocrite que les autres. J'en ai assez de me méfier. J'en ai assez. Pouce! “Si on t’embête, tu cries, n'hésite pas”, c'est ce que dit mère-grand.

Il ne m'embête pas. Pas encore. Je crois que j'aime assez cette voix, j'aime la façon dont il a dit: “Je ne vous fais pas peur?” Je crois que je n'ai pas entendu parler un jeune homme, quelqu'un de mon âge, quelqu'un d’amical, quelqu'un qui n’a pas pitié ou peur de moi, depuis cent ans!»

Puis elle s’est raidie. «Attention, ne te laisse pas aller, ne te fais pas d'illusions.»

Trop tôt au goût de Mathieu, le film a été recollé et, sur son escalier, Maria la belle Portoricaine a repris sa chanson.


À la fin, lorsque les lumières se sont rallumées, en se levant ils ont parlé du prochain film que monsieur Piot avait annoncé: Les Misfits.

— Vous viendrez?

— Oui, je viendrai. C’est un film que j'ai vu, avant.

Il a pensé: «Comme elle à dit: “avant”. Comme ce mot semble chargé de souffrance pour elle! Sa voix tremblait. Vu avant? Avant quoi?»

En sortant, il allait à droite, elle à gauche. Ils se sont dit: «Au revoir, à mercredi prochain.».

Et elle a ajouté: «Rendez-vous au Lux, même heure, même place!» Et il a trouvé cela miraculeux, parce qu'il n'avait pas osé le préciser ainsi. Ils ont ri tous les deux en sentant la pluie glacée.

Il n’imaginait pas quel effort terrible elle avait dû faire pour lancer cette phrase en s’éloignant, avec juste la dose qu’il fAllait de désinvolture et de’ gaieté, alors qu'elle avait l'impression d'avoir hurlé dans la rue un appel au secours. Et à un inconnu. Quelqu'un qu'elle ne retrouverait peut-être jamais.


Mercredi 19 février

Mathieu à son billet. Il a cru que monsieur Piot ne le lâcherait plus. Et le scénario d’Arthur Miller écrit spécialement pour Marilyn, son ex-femme, et immédiatement après, la mort de Clark Gable, et le suicide de cette pauvre Marilyn. Oh! lá! là! D’habitude, il écoute l’encyclopédie vivante du cinéma avec intérêt, mais aujourd’hui il a pensé que monsieur Piot était décidément trop bavard et exagérément sinistre.

Il fait attention à la marche, en entrant. Il frôle le velours râpeux des sièges. Les paradis est au troisième rang à partir du fond, septième fauteuil. Elle y est. Voici son parfum d’abord, puis sa façon de répondre à son bonjour, joyeusement mais avec, au fond, cette tension secrète qui l’émeut.

Ils ont parlé pendant Ja publicité. Ni elle ni lui ne s’y intéressent. Comme un chien aboyait à la gloire de quelque pâtée en boîte, elle à dit tout à coup:

— Vous savez, j'ai un chien depuis quatre mois maintenant.

— Vous l’aimez?

Il a posé la question mais savait déjà, à la façon dont elle avait dit cela, qu’elle répondrait oui.

— Avant, je n’aimais pas les chiens. Pas du tout! Mais lui, c’est autre chose. J'ai peur de trop l'aimer.

— Doit-on avoir peur de trop aimer?

— Oh oui!

— Moi aussi, j'ai un chien. Il a des problèmes terribles.

— Ah bon?

— Il se demande s’il ne m'aime pas trop.

Ils ont ri. Elle pense: Il est rigolo, lui. Moi je suis trop grave, trop vite. Autrefois je me fichais de tout. À présent je me sens si lourde. Tout me blesse.»

Le fait d'arriver la première et d'imaginer pendant trois minutes qu'il avait pu ne pas venir parce qu'il avait oublié leur rendez-vous, ou, pis, parce qu'il savait la vérité et l’évitait volontairement l’avait brisée. Que les gens l'évitent, elle en avait pris l'habitude, pourquoi était-elle blessée à l’idée que lui aussi?.. Elle ne sait rien de lui. Peut-être allait-il la décevoir, là, dans une minute.

Elle s'était sentie bien le premier mercredi, à ses côtés. En sécurité, comme avec un frère. Il n'avait pas posé de questions embarrassantes, du style: «Où habitez-vous? Vous vivez chez vos parents?» Il n’avait pas pesé. Mais le danger c'est que, sous sa légèreté de politesse, elle le sent très attentif à ce qu’elle cache. Elle le sent. Elle en a peur. Comment se fait-il qu’il n'ait pas encore posé de questions, les questions qu'ils posent tous? C’est elle qui le questionne:

— Que faites-vous dans la vie les autres jours de la semaine?

— Entre autres occupations, je suis une sorte de pianiste.

— Classique?

— Non, pianiste de jazz. Je joue de temps en temps au Cargo, avec des amis. Si vous voulez venir nous écouter... Et danser même... Ça ne va pas?

Non, ça ne va pas du tout. Elle a mal là, comme un coup de poing dans l'estomac. Ça revient. Elle repense aux concerts, aux fêtes. Jamais plus. Jamais plus elle ne se verra comme un ange blond émergeant de la fumée dorée, ou bleue, dans les miroirs du Rock à Coco. Reine de la danse, reine sous les yeux de... de qui déjà?

Comment s'appelait-il, celui dont elle était follement amoureuse à cette époque? Celui qui l’'embrassait dans la voiture, et même plus? Bertrand, bien sûr. C’est inutile de faire semblant de l'avoir oublié. Elle n'éprouve rien pour lui. Ce qui est arrivé a tout tué. Tout est sec.

— Et vous, mademoiselle, que faites-vous quand vous n'êtes pas assise au troisième rang en partant du fond?

— Je suis étudiante, à la fac de lettres. DEUG d'anglais.

Et après?

— J'aurais voulu être institutrice.

— C'est merveilleux! Vos élèves auront une sacrée chance!

Elle se tait: «Pour ça oui, ils en auront de la chance. La chance de n'avoir jamais une institutrice comme moi.»

Elle à envie de pleurer.

«Heureusement, pense-t-elle, que j'ai des lunettes, il ne doit rien voir.»

Le film commence. En français, malheureusement. Elle aurait aimé entendre la voix de Marilyn, la vraie. Mais c'est bien, quand même.

Avant que tout le monde se lève pour partir, monsieur Piot a annoncé le prochain film. Un muet. Elle à dit: «Je ne viendrai pas la semaine prochaine, je n'aime pas les films muets.» Il a eu envie de l’embrasser. Lui non plus, bien sûr, il ne viendra pas.

[...]

Mercredi 12 mars

Ils sont arrivés en avance, tous les deux. Indifférents aux rares spectateurs qui font claquer leur siège, ils chuchotent. Il était là avant elle. Quand elle est arrivée, il a dit:

— Bonjour, Marine. Tu as bien toujours les cheveux blonds, un chien, une grand-mère et presque dix-neuf ans?

— Oui, j'ai tout ça, et en plus, dans quatre jours, j'aurai vraiment dix-neuf ans.

— Tu vas fêter ça?

— Non. Heu... oui, je pense que ma grand-mère me fera une surprise.

Elle aurait voulu ajouter: «J'en ai rien à foutre de ses surprises! Ce n'est pas ça que je veux!» C'était ce qu’elle avait hurlé à son dernier anniversaire. Mère-grand avait observé une minute de silence, puis de son incassable petite voix avait répondu: «Je ne peux pas te donner ce qui te manque, Marine, personne ne le peut. Mais ne gâche pas ce que tu as.»

— Et si moi aussi je t'en faisais une de surprise?

Elle a envie de lui dire: «Rien que le fait que tu sois là, que tu restes à mes côtés, amical, et que je n'aie pas peur de toi, même quand tu approches, c'est déjà une surprise.»

— C'est vrai qu'il y a des couleurs qui vont particulièrement bien aux blondes?

— Oui, les bleus, les mauves, les rouille. C'est ce que dit ma grand-mère quand nous faisons les courses.

— Tu fais les courses avec ta grand-mère?

— Un peu moins maintenant.

Elle met sa main sur sa bouche. Elle n'aurait pas dû dire cela.

— Tu es grande maintenant, tu peux traverser la rue seule!

Ah! c’est vraiment fin d’avoir dit ça! Vraiment! Ça ne la fait pas rire. Pourquoi? Elle ne dit rien. Peut-être l’a-t-il blessée?

— Excuse-moi, ta grand-mère est peut-être souffrante?

— Oh! non, elle va très bien. Si... si vous avez encore de l’amitié pour moi, plus tard, je vous la présenterai. Elle est tellement drôle et fine!

— Tu me revouvoies?

Elle sursaute.

— Je n’ai pas encore l'habitude...

— Et pourquoi pourrais-je ne plus avoir d'amitié pour toi?

Elle se trouble.

— Oh! comme ça, quand tu me connaîtras un peu mieux.

— Tu es terrible, j'en suis sûr. Cannibale! Idolâtre! Lotophage! Sadomase! Miam miam!

Elle rit, lui prend le bras et le secoue.

— Arrête, arrête, tout le monde va t’entendre!

— Non, ne t'inquiète pas, ils sont tous sourds, ils ne viennent que pour les images.

— Oh!

Il n'a pas entendu son exclamation. Le film commence.


«Serrer son bras, sentir ses muscles sous son pull, c'était tellement. extraordinaire. Je voudrais recommencer. Mais sous quel prétexte? “S'il te plaît, prête-moi ton bras que je le serre.” Je suis folle. C’est sûr. Ça fait deux ans que je ne connais pas d'autre main que celle de ma grand-mère, personne d'autre qu’elle, et tout à coup... Attention Marine! Attention, calme-toi!»

Sur l'écran, la foule veut lyncher Joan Crawford, Mathieu murmure contre la joue de Marine: «J'ai peur! Elle sourit mais n'ose pas répondre.

Pas une minute, tandis quee film défile, il ne pense à autre chose qu’à elle. Horsqu'elle tourne la tête, ses cheveux font un léger bruit sur le velours. Une envie de toucher son visage l’envahit, forte, presque douloureuse. Passer ses mains sur son visage, savoir ses joues...

Non. Il ne doit pas. Que dit Johnny Guitare? Pas grand-chose d'’intéressant. Il s'en fout. Il entend la respiration de Marine qui s'accélère. Pourquoi? Il ne se passe rien de particulièrement triste sur l'écran. Ah! c'est vrai, la chanson...


Ils sont sur le trottoir, devant le cinéma Lux. Des passants les bousculent, mais ils ne s'en rendent pas compte.

— Tu disais mercredi dernier que ta mère chantait la chanson du film?

Elle répond dans un souffle:

— Oui.

— Tes parents...

— Ils sont morts.

Il a dû s'approcher tout près pour entendre.

Elle vient de le dire à quelqu’un pour la première fois. Elle n'a pas eu une seconde d'hésitation. Elle en est stupéfaite. Elle ressent à la fois un grand soulagement et l'impression terrible de les avoir trahis. Elle n’a pas retenu les mots. Elle l’a dit. Elle n’a plus résisté. Le dire, c’est accepter qu'ils soient morts. Les rejeter. Lâcher leurs mains. Les laisser partir au loin. Partir d’elle. Elle en tremble.

Il entend ses dents claquer. Il la prend dans ses bras très lentement. Il la garde contre lui, sans la serrer, la cache dans les pans de son manteau. Les gens passent, parlent autour d'eux. Elle se calme.

— Ça va mieux?

— Oui. Je vais rentrer. Ma grand-mère risque de s'inquiéter.

Il sourit.

— Tu as entendu le titre du prochain film?

Elle ne répond pas et s'éloigne. Il a peur. Pourquoi lui avoir posé cette question? Et sur ce ton-là, après ce qu’elle vient de lui dire? Il crie:

— Marine, tu viendras?

— Bien sûr.

Tourné dans sa direction, parmi tous les autres, il entend le bruit de son pas décroître. Un pas étrangement peu sûr.

[...]

Autour d'eux, les monitrices, à force de «Groupez vous devant!», de «Johan! Où tu vas?», de «Attendez ceux qui sont dans les toilettes!», de «Et Fatima, qu'’est ce qu’elle fabrique encore?» tentent de réunir leur troupeau qui piaffe et hennit comme en Camargue.

— Marine?

— Oui?

Il faut qu’elle trouve quelque chose à lui dire. Quelque chose de neutre. Ne pas parler de Prince, ni de la plage. Surtout pas. Elle ne dit rien de neutre. Elle prononce des mots qu’elle n'avait pas prévus.

— J'ai pleuré toute la semaine. Je n’aurais pas dû venir. Il faut que je te parle, Mathieu.

— Parle-moi.

— Non, pas ici. Je ne sais pas où. Ce que j'ai à te dire est trop. grave, tu comprends?

— Marine, moi aussi, je dois t'apprendre quelque chose.

— Quelque chose?

— Quelque chose que je t'ai caché. Ce n'est un secret pour personne, ce n’est rien de répréhensible, rassure-toi, mais j'aurais dû t'en parler dès le premier jour et je ne l'ai pas fait.

— C'est très grave?

— C’est très important.

Il a passé son bras autour de ses épaules.

- Tu es bien quand même?

Elle dit oui, dans un souffle. Mais elle n’est pas vraiment bien. Mathieu lui a menti? Ce n’est un secret pour personne? Qu'est-ce que ça veut dire? Et s’il était marié? À vingt-trois ans, on peut être marié? Oui, bien sûr. Mais alors. Non, il est trop droit. Non, c’est quelque chose d'autre.

— Veux-tu venir chez moi demain? Ne crains rien, je ne suis pas le grand méchant loup...

— Si tu savais comme je m'en fiche du grand méchant loup, c’est pas le problème!

Elle se mord les lèvres. S'il pouvait la croquer, l'engloutir d’un seul coup. Un grand jaillissement de vie et de mort, et puis plus rien. Mais ça ne sera pas aussi facile.

Elle devra se détourner de lui, volontairement. Quand elle aura parlé.

— Si tu savais, Mathieu…

— Ne t'inquiète pas, tout peut être dit. Moi aussi, j'ai l'impression que, quand je t’aurai parlé, le ciel nous tombera sur la tête. Mais finalement, rien n’est jamais aussi terrible qu’on le croit.

Il prend sa main et la serre, tandis que la vague des enfants s'écoule.

— Peut-être retournerons-nous au cinéma Lux en amis?

— Pourquoi? Nous sommes autre chose que des amis?

Sa voix est raüque, pleine de révolte. Elle est toujours sur le point de laisser échapper sa douleur. Parler lui est difficile. Elle se lève.

— À quelle heure demain?

— Quand tu veux. Dix-sept heures, ça te va? Je te ferai un thé chinois. 37, rue Pasteur. Tu vois où c’est? C'est tout près. Tu sonnes en bas et je ouvre. Mon nom, c'est Tournier. J'habite au deuxième, à droite. Tu sais... peut être qu’on exagère...

— On exagère quoi?

— La gravité de la situation.

Oui, elle aimerait bien. Mais inutile d'y songer. Elle ne doit pas croire aux miracles. Elle a eu deux ans pour bien s’enfoncer ça dans la tête. Pas de miracle, plutôt crever que croire au miracle. La situation n'est pas grave du tout, monsieur Mathieu Tournier, elle est désespérée, tout simplement. Demain à dix-sept heures, le rideau tombera. «Finita la commedia», comme dit sa grand-mère. On n’en parlera plus.

Quelque chose se déchire en elle. Elle serre les dents, tord sa bouche en un sourire et pense: «Voilà, c'est ça: “Mon coeur se brise. Ça recommence. Je croyais qu'il était déjà en mille miettes et définitivement, mais non, ça n'arrête pas de se briser ces machins-là. Et ça peut durer combien de temps encore? Je me le demande. En tout cas, c’est horriblement douloureux.»

Debout dans l'allée, ils se serrent très fort l’un contre l’autre, sans s'embrasser. Ils se séparent en entendant le pas de monsieur Piot.

Mathieu chuchote à l'oreille de Marine:

— Tu sais ce qu’il nous passe monsieur Piot, mercredi prochain?

— Non.

— L'Éternel Retour.

Elle n’a rien dit. Sa gorge est restée serrée. De retour chez elle, elle a glissé la cassette de Mathieu dans le lecteur, mais elle n’a pas pu appuyer sur le bouton. Elle est restée dans le silence. Elle n’a rien pu manger. Elle a froissé entre ses doigts le petit papier qu’il lui a donné.

Elle ne la pas jeté. Elle a posé la petite boulette sur le rebord du chapeau du petit Mexicain en terre cuite que sa grand-mère lui a offert. À deux heures du matin elle faisait encore les cent pas. De sa petite cuisine au salon, du salon à la chambre. Impossible de dormir. Chaque fois qu’elle passait devant Pschitt, il poussait un petit gémissement.

— Dors, Pschitt, ne t'inquiète pas.


Jeudi 3 avril

Ce matin, pendant deux heures, il s’est battu avec son piano, c'était catastrophique, sauf à la fin, quand il s’est laissé aller à jouer la petite mélodie qu'il a composée cette nuit dans son lit. Finalement, ce n'est pas aussi nunuche qu'il le craignait. «L'amour ne rend pas toujours idiot», a-t-il pensé en rejouant dix fois sa Mélodie marine pour ne pas l'oublier.

Tout l'après-midi, il a été agité. Il commençait une chose, la laissait en plan, déplaçait un objet, sortait les gâteaux, les remettait à leur place, mettait un disque et ne l’écoutait pas, ouvrait le piano, jouait trois notes et se levait brusquement pour vérifier s’il n’y avait rien qui traînait sur les fauteuils. Pollux, étonné, était toujours dans ses jambes.

— Sois calme, Pollux, sois calme, nous allons avoir de la visite. Tu vas voir comme elle est belle. Si tu grondes ne serait-ce qu’une fois, je ne te parle plus. Ça, tu peux en être sûr. Je ne te parle plus. C’est compris?

Depuis qu'il a entendu sonner dix-sept heures à la pendule qui avance de quatre minutes, il est là, dans le couloir, incapable de faire autre chose que d'attendre. Les secondes marchent à pas de fourmi.

La jeune fille et sa grand-mère passent devant le cinéma Lux, elles tournent dans la rue Pasteur. Marine à dit qu’elle allait chez un pianiste qui lui donnerait peut être des leçons. Mère-grand, contrairement à ses habitudes, a fait très peu de commentaires. Elle à seulement dit: «Oh! Marine, je suis si heureuse!»

Ça y est, elle a sonné à la lourde porte du bas. Mathieu avait déjà le doigt sur le bouton. Il dit dans l’interphone: «C’est toi, Marine?», elle n’a pas répondu, mais il sait que c’est elle. Il entend ses pas dans l'escalier. Comme elle avance lentement! S'il l'avait attendue en surveillant la rue du balcon, il l'aurait vue arriver, son foulard bleu lavande autour du cou, tenant le bras d’une petite dame en tailleur rouge sombre. Il aurait vu la petite dame pénétrer dans l'immeuble avec Marine puis ressortir seule et rester un moment, immobile sur le trottoir, à fixer la porte qui se refermait. Et puis enfin, il l'aurait vue lever les yeux, envoyer une sorte de baiser avec sa main vers les étages, puis secouer sa petite tête aux cheveux blancs très courts et repartir en trottinant.

Il n’a rien vu de tout cela, il a déjà ouvert la porte.

- Marine?

- Mathieu!

Elle est là, dans le couloir. Son parfum, sa voix. Pollux est sorti. Il tourne autour d’elle avec de petits jappements.

- Il doit sentir que j'ai un chien.

Elle s’agenouille et caresse Pollux d’une manière très particulière, avec les deux mains, d’abord de la tête à la queue, puis le long des pattes.

- Il ne ressemble pas du tout à Pschitt, sauf la taille. Pschitt a le poil tout ras, et vous, Pollux, vous êtes doux et bouclé comme un moüton. Oh oui, vous êtes un bon chien!

Mathieu lui prend la main. Toutes les phrases intelligentes qu'il avait préparées pour l’éblouir, il les a oubliées. La voix de Marine, plus haute, plus libre qu'au cinéma, lui paraît presque enfantine. Il décèle toujours en elle, sous les exclamations joyeuses, cêtte appréhension qui jamais ne disparaît, mais aussi une détermination qu'il ne soupçonnait pas.

Marine, après une nuit sans sommeil est calme. Elle est décidée à parler, à écouter ce que Mathieu a à dire et à vivre entièrement, jusqu'au bout, ce qui lui sera possible de vivre. Ça dépendra uniquement de Mathieu, a-t-elle décidé. Qu'est-ce que je risque? Si je lui plais malgré tout, un peu, pour une fois, pour dix fois, je ne lui demanderai rien d'autre que d’être sincère. Mère-grand a raison. Je ne dois pas gâcher ce que j'ai, mais, au contraire, le vivre comme un cadeau inespéré. Mathieu est mon cadeau. Je n’ai rien à perdre.

— Viens. Tu as vu mon premier ami, Pollux, maintenant je vais te présenter mon deuxième ami.

Il a senti qu’elle se figeait. Sa main dans la sienne s’est raidie puis est devenue inerte. Il a déjà senti cela un jour, quand il a ramassé sur le rebord de la fenêtre un oiseau qui s'était fracassé contre la vitre. Un sursaut de tout le petit corps, et puis plus rien. Mais comme elle sait se maîtriser!

Oui elle sait se maîtriser, mais ses pensées, dans sa tête, vont à une allure infernale: «Mais comment ai-je pu être bête au point de ne pas penser à ça! Un ami. Il a un ami. C'est ça qui n’est un secret pour personne et qu'il n’a pas osé me dire. Voilà pourquoi il a toujours été si... lointain, même quand les lumières s’éteignaient. Bien sûr. Un ami. C’est évident, j'aurais dû m'en douter. Il est donc comme Pierre et José, charmant, sensible, l'artiste, mais il ne m'aimera jamais comme je...»

Renoncer à ce qu’elle avait imaginé, à ce pour quoi elle s'était préparée, cette fête, cette joie du corps, renoncer à ce qu’elle était prête à donner, à recevoir, tuer son a\ désir en plein vol, retourner au désert est une telle douleur qu’elle vacille: Mais elle se reprend: «Tant mieux, après tout, c’est peut-être une chance pour moi... Une chance de ne pas le perdre. S'il n’a pas besoin de femme, il me gardera pour amie. C’est affreux, et en même temps je suis presque soulagée. Tout sera plus simple. Si je ne lui plais pas, au moins ce ne sera pas à cause de...

Il la fait entrer/au salon. Il s'approche du piano ouvert et, sans lâcher sa main, il frôle les touches.

— Nous vivons à trois ici: Pollux, mon chien; Castor, mon piano; et moi.

C'était donc cela, son ami: un piano! Elle rit. Son coeur bat si fort! Elle ne se sent plus très solide sur ses jambes. Elle s'appuie contre le piano, le menton dans les mains, pour essayer de lui dissimuler la rougeur de ses joues. Le soulagement, le renoncement qu'elle croyait éprouver il y a trois secondes ont disparu sans laisser de trace. De nouveau, elle est dans cet état de tension, d'angoisse et d’excitation, écartelée entre l'attente du pire, qui va certainement arriver, et un fol espoir de bonheur. Elle est un champ de bataille où s'affrontent désir de vivre et raison. Elle voudrait dire: «Stop! Je veux retrouver mon calme.» Mais à qui le dire?

Mathieu joue les premières mesures de Georgia on my mind, de Ray Charles. Elle fredonne.

— Tu connais ce vieux machin?

— Oui, ma mère...

Elle se tait. Elle sait qu'il a compris. Elle est déjà si bouleversée qu'il ne faut pas qu’elle pense à sa mère, non. D'ailleurs il joue autre chose, un air sautillant à la Joplin. Cascades! l'air qu'ils ont écouté au cinéma, et puis maintenant La Strada, de Nino Rota. Elle sent le piano vibrer contre elle. Elle est bien.

— C'est bien chez toi.

- Tu ne trouves pas que c’est minuscule?

- Non. (Elle reste un moment silencieuse. Il aime et redoute ses silences.)

— Je trouve que c'est... paisible.

- Tu n'es vraiment pas comme les autres, Marine. C'est ce qui m'attire en toi... malheureusement.

Elle ouvre la bouche pour parler, interrogative, mais il poursuit:

— Quand une femme vient ici, elle dit tout de suite: «Mon Dieu! comme c’est petit!» Ça ne rate pas.

De nouveau, la voilà tendue. Sa voix est sourde.

— Beaucoup de femmes viennent ici?

Il sourit.

— Non, pas beaucoup, ma soeur avec ses copines de temps en temps... Je te les ferai connaître si tu veux. Enfin. si tu veux encore, après.

Il a l'air gêné, triste. Il secoue la tête et change de ton.

— Mais je te laisse debout, là, comme un mal poli! Asseyez-vous donc, belle dame, et je m'en vais vous chercher à boire de ce pas. Que voulez-vous, princesse, un thé de l’empereur Ming ou un cocktail de fruits de la passion avec mon coeur in the rocks, ou un sirop de pomme d'amour, ou, si vous êtes cruelle, le sang d’un taureau mort dans l'après-midi? J'ai même un liquide que les sauvages des Amériques appellent «Coca-Cola», si vous avez la nostalgie, princesse.

Elle rit.

— J'aime bien le thé. Tu fais le clown parce que tu es anxieux.

Comment at-elle osé dire ça? Elle n’a même pas réfléchi, c’est venu comme ça.

— Oui, tu as raison.

Il a dit ça en partant vers la cuisine. Elle entend des bruits de tasses qui se heurtent. Il utilise un allume-gaz. Comme elle. Elle est attentive au moindre bruit. Elle caresse le cuir du canapé bas sur lequel elle est assise. Elle enlève sa chaussure pour tâter du pied le tapis. Il revient, portant un plateau. Elle à juste le temps de remettre sa chaussure. Il n’a-rien remarqué. Il s’assied près d'elle, la sert, se sert, lui tend une assiette de petits gâteaux. Ils sont gauches tous les deux.

— Tu veux un gâteau?

— Oh! excuse-moi! Je suis tellement maladroite!

En tendant la main vers l'assiette, elle à fait tomber tous les gâteaux secs. Elle les ramasse sur le tapis, à tâtons.  Lui, un peu amusé, la retient.

— Laisse ça, tu n'es pas venue chez moi pour faire la cueillette des petits sablés! Pollux va s'en charger, ne t'inquiète pas!

Elle se réinstalle au fond du canapé, confuse. Le silence s'installe. Elle ne pense qu’à une chose: lui dire la vérité, comme on se jette à l'eau; mais, chaque fois qu'elle croit qu’elle va parler, elle ne peut pas. Comme quand elle s’est jetée pour la première fois du haut du grand rocher, dans le Gardon. Elle a hésité trois jours de suite. Et quand elle s’est lancée, c'était si facile qu’elle s'est demandé pourquoi elle avait eu si peur.

— Marine, la chose que je dois te dire... non, les deux choses... sont difficiles à dire. Enfin.... l’une des deux me remplit de joie, mais, à cause de la seconde, elle me désespère. Enfin.... je veux dire que.

— Commence par la plus difficile si tu veux, je ferai pareil, et après on verra.

Oui, on verra, comme tu dis...

- Quel dommage d’avoir à nous dire des choses graves alors que...

— Que quoi?

— Alors qu'il fait si doux, que j'ai envie de légèreté, de rires. Au lieu de parler, j'aimerais qu’on s'embrasse et puis c’est tout!

Sa voix s’étrangle. Lui, ému, plaisante:

— On s’embrasse d’abord et on parle ensuite, ou l'inverse?

Elle s’écarte de lui.

— On parle d'abord. Au cinéma, le baiser, c’est à la fin…

- C'est que j'ai peur de la fin.

Elle dit tout bas:

— Moi aussi.

Et elle pense: «Le paradis, c'était le cinéma Lux, troisième rang à partir du fond, septième fauteuil. On est toujours chassé du paradis.»

— Marine, très vite, au Lux, je t'ai beaucoup... enfin, je t'ai énormément... Enfin, tu comprends, quoi.

— Je comprends un peu.

Ils rient.

— J'ai aimé ta voix dès le premier mot, ce que tu dis, tout ce que je peux savoir de toi, tout. J'aime aussi que tu te moques de ma maladresse. J'adore ton humour.

— Le tien est tellement plus léger! C'est drôle, j'ai réalisé cette nuit que seul quelqu'un qui a de l'humour peut vraiment comprendre une personne qui... pratique l'humour comme une sorte de courage. Tu comprends? Je crois que l’humour a quelque chose du chiendent. Quand tout paraît mort en nous, quand on nous a aspergés de napalm, si on a eu la chance de l'avoir au départ, il repousse... Mais autrefois si tu avais vu comme j'étais gaie!

Elle a terminé sa phrase d'une voix si basse qu'il a deviné plus qu’entendu ses mots.

— Oui. M'est avis qu'il va nous falloir une sacrée dose d'humour pour aborder notre dernière séance...

— Oh non! Ne dis pas ça! Je ne peux pas imaginer…

Elle a presque crié.

— Ce que tu ne peux pas imaginer, sûrement Marine, c'est que les seuls endroits où je peux aller seul, sans mon chien, sans personne pour me guider, sont le cinéma Lux et les quelques boutiques du quartier qui sont à deux pas de chez moi.

Il retire ses lunettes noires. Face à elle, il expose son visage nu, aux orbites, creuses, parcouru aux tempes et aux pommettes par un réseau de cicatrices anciennes. Il reprend d’une voix sourde:

— Voilà, maintenant, tu sais. Moi, Mathieu Tournier, vingt-trois ans, pianiste, domicilié au trente-sept de la rue Pasteur, je suis aveugle.

Il a bién détaché les trois derniers mots. Le silence est total.

— Non, Mathieu, ce n’est pas vrai! Non! C'est trop... incroyable. Oh non! Je n’y crois pas. Tu...

Marine met son visage dans ses mains.

— Ce n’est pas triste, tu sais. Enfin, pas triste pour moi. Je suis habitué. Je suis aveugle depuis l'âge de huit ans. Une grenade qui traînait au Congo. Lés restes d’une guerre. Je me suis amusé à la faire rouler. J'ai des cicatrices sur la poitrine, une épaule amochée... Jusqu'à maintenant, j'étais heureux dans mon monde. J'avais la musique, les promenades avec Pollux, ma famille, des amis fidèles, parfois une nuit ou plusieurs avec une fille curieuse de savoir comment c'est avec un aveugle. Tu vois, je ne te cache rien. Mes journées étaient pleines. Je gagne assez bien ma vie. J'arrange des musiques pour les cassettes de littérature destinées aux aveugles, ce qui explique tout le matériel que tu vois là. Avec l'association nous avons lancé aussi une collection de cassettes sonores pour présenter les films. Voilà pourquoi nous nous sommes rencontrés au Lux. Ma vie était tranquille, mais, depuis la panne de West Side Story, tout est sens dessus dessous. Je ne sais pas ce qui m'a pris. Comme j'ai compris que tu n'avais pas vu que j'étais aveugle, j'ai eu la tentation de te le cacher. Je n'ai jamais fait ça. Je ne sais vraiment pas ce qui m'a pris. enfin... Je ne suis plus un aveugle heureux, quoi!

Il rit.

— Depuis que je t'ai rencontrée, Pollux n’est plus un chien d’aveugle heureux non plus, parce que j'avais peur que tu me voies dans la rue. Je ne sortais qu’en tremblant. Ça ne pouvait pas continuer comme ça... Tu pleures, Marine?

Il met la main sur son épaule.

— Je’ne pleure pas. Je ris.

- Tu...?

— C'est incroyable, ça! Incroyable! Non, je n'y crois pas, c’est impossible! Tu me jures que tu es aveugle?

- Mais enfin, Marine, pourquoi voudrais-tu que j'invente?

— Aussi, je me demandais quand, enfin, tu t'étonnerais de me voir au cinéma avec ces lunettes, et quand tu poserais une question sur la cicatrice que j'ai là.

Elle cherche sa main, saisit ses doigts et lui fait suivre la balafre profonde qui court de sa tempe à l'aile de son nez. Il ne dit rien. Il ne sait plus...

— Oh! Mathieu, moi aussi, je ne sortais plus de peur de te rencontrer. Une fois j'ai eu très peur, j'ai entendu ta voix au Salon de musique.

— Ah! C'était bien toi, alors, je ne m'étais pas trompé! Figure-toi que je me suis caché derrière mon copain Maurice quand j'ai senti ton parfum. Il a cru que je débloquais.

— J'ai couru comme une folle, Pschitt ne comprenait rien. Moi aussi, au Lux j'ai eu envie de faire semblant. C'était si doux... si douloureux. À un moment, je me suis dit: je ne remettrai plus les pieds dans ce cinéma.

— Je sais. C'était la deuxième fois, non?

— Oui, la deuxième. Et la troisième aussi, et chaque fois. Mais je n'ai pas pu. Parce que... parce que tu es très bien, Mathieu, ça tu dois le savoir, et puis... on ne peut pas faire ça quand on est vivant.

— Faire quoi?

— Abandonner les autres sans explication. Ceux qui meurent le font, tu comprends? Comme mes parents. Ils ne pouvaient pas faire autrement. Mais moi, non, il fallait que j'aie le courage de te parler. Et finalement tout ce qui me paraissait si tragique est presque drôle, tu avais raison, Mathieu.

— Presque drôle, tu trouves?

- Mathieu, je suis aveugle. Moi aussi. Tu n'as pas deviné? C’est arrivé il y a deux ans. Dans l’accident... avec mes parents. Je commence à peine à...

Mathieu est très pâle. Comme pétrifié. Son souffle est suspendu, il semble avoir des difficultés à comprendre les paroles de Marine.


Le téléphone, posé sur le piano, sonne. Ni lui ni elle ne font un mouvement pour répondre.

À la troisième sonnerie Mathieu dit d’une voix atone:

— C'est sûrement ma soeur. Qu'elle sonne!

Marine, comme si elle se réveillait, sursaute enfin.

— Non, Mathieu, c’est ma grand-mère, elle...

Il décroche. Il à retrouvé ses couleurs.

— Oui madame, j'ai kidnappé votre petite-fille. Non, je ne demande pas de rançon. Oui, je vais la dévorer toute crue, ne vous inquiétez pas...

Il rit. Marine est venue à ses côtés. Elle prend le combiné. Elle écoute un instant.

- Mais non, Mère-grand, ne t'inquiète pas.

Elle écoute encore et murmure avec une voix de fillette: «Oui, mon amoureux, je crois...» Elle écoute, répond enfin avec sa voix habituelle, la belle voix énergique qu’elle avait en arrivant: «Il me raccompagnera. Quand? Je ne sais pas. Oui, oui, ni la clé. Bonne nuit, Mère-grand.»

Elle raccroche et elle pouffe de rire.

— Je lui ai dit bonne nuit alors qu'il est seulement six heures du soir!

Il l'écoute en secouant la tête et rit aussi. Il tend ses mains vers son visage. Elle à fait, en même temps que lui, le même geste. Ils s’effleurent, se découvrent du bout des doigts.

FIN
 

ϟ


Au Cinéma Lux
Janine Teisson
Éditions La Découverte
Paris: Syros, 1998.
   Prix:
Prix sorcières, 1999  |  Prix de l’été du livre jeunesse, Metz  |  Prix Entre Guillemets, Chateaubriand

 


Δ

28.Fev.2025
Publicado por MJA