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A Parábola dos Cegos - Pieter Brueghel, 1568
"Contemplai-os, ó minha alma; eles são pavorosos! Iguais aos manequins, grotescos, singulares, Sonâmbulos talvez, terríveis se os olhares, Lançando não sei onde os globos tenebrosos.
Suas pupilas, onde ardeu a luz divina, Como se olhassem à distância, estão fincadas No céu; e não se vê jamais sobre as calçadas Se um deles a sonhar sua cabeça inclina.
Cruzam assim o eterno escuro que os invade, Esse irmão do silêncio infinito. Ó cidade! Enquanto em torno cantas, ris e uivas ao léu,
Nos braços de um prazer que tangencia o espasmo, Olha! também me arrasto! e, mais do que eles pasmo, Digo: que buscam estes cegos ver no Céu?"
BAUDELAIRE, Charles. "Os cegos,"
tradução de Ivan Junqueira
in As Flores do Mal. Rio de Janeiro: Nova Fronteira, 1985
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Les Aveugles
Charles Baudelaire (1860)
Contemple-les, mon âme; ils sont vraiment affreux! Pareils aux mannequins; vaguement ridicules; Terribles, singuliers comme les somnambules; Dardant on ne sait où leurs globes ténébreux.
Leurs yeux, d'où la divine étincelle est partie, Comme s'ils regardaient au loin, restent levés Au ciel; on ne les voit jamais vers les pavés Pencher rêveusement leur tête appesantie.
Ils traversent ainsi le noir illimité, Ce frère du silence éternel. O cité, Pendant qu'autour de nous tu chantes, ris et beugles,
Eprise du plaisir jusqu'à l'atrocité, Vois! je me traîne aussi ! mais, plus qu'eux hébété, Je dis: Que cherchent-ils au Ciel, tous ces aveugles ?
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Baudelaire - Pieter Brueghel - Hoffmann
par
René Pommier
... Le sonnet "Les Aveugles"
a paru pour la première fois le 15 octobre 1860 dans la revue L'Artiste
avant de devenir, en 1961, le poème XCII de la seconde édition des
Fleurs du mal, dans la nouvelle partie des Tableaux parisiens. Comme
nous le verrons, le texte de la revue L'Artiste nous offre trois
variantes (aux vers 11,12 et 13). Il existe aussi, pour les deux
quatrains, un manuscrit autographe qui comporte trois leçons biffées que
Jacques Crépet a relevées (aux vers 1, 4 et 5).
... Un certain nombre de commentateurs pensent qu'à l'origine de ce poème, il
y a le tableau de Brueghel le Vieux, La Parabole des Aveugles, tableau que l'on
trouve, d'ailleurs, reproduit dans le XIX° Siècle de Lagarde et Michard et
qui nous montre six aveugles qui se suivent à la queue leu leu, deux d'entre eux
tenant la canne et deux autres l'épaule de celui qui est devant eux; le premier
est en train de tomber dans un ravin, le deuxième, qui tenait certainement la
canne ou l'épaule du premier, est en train de perdre l'équilibre, et l'on
devine, bien sûr, que les quatre autres vont eux aussi finir au fond du ravin.
Jacques Crépet n'est pas de cet avis: «On peut en douter, écrit-il,
l'original se trouvant au Musée de Naples et la copie qu'en possède le Louvre
n'ayant été acquise qu'en 1893. Mais, dira-t-on, Baudelaire avait bien pu en
contempler quelque reproduction! C'est là chose possible, mais que rien ne
confirme». Mais Jean Prévost n'est pas de cet avis : l'article sur "quelques
caricaturistes étrangers " lui paraît apporter la preuve que Baudelaire a eu
entre les mains une collection « de gravures ou de lithographies d'après
l'oeuvre de Brueghel».
... Quoi qu'il en soit, le problème n'est pas seulement de savoir si
Baudelaire a vu ou n'a pas vu le tableau de Brueghel. Il est aussi et surtout de
savoir s'il s'en est inspiré. S'il ne l'a pas vu, il est clair qu'il n'a pas pu
s'en inspirer; mais, s'il l'a vu, il n'est pas du tout sûr, pour autant, qu'il
s'en soit effectivement inspiré. Antoine Adam, lui, en est convaincu: « Les
rapports précis et multiples qui apparaissent entre le tableau et le poème ne
laissent guère de place au doute. Ces aveugles affreux et pareils à des
mannequins, ce sont précisément ceux de Brughel. Comme dans le tableau du
peintre flamand, ils avancent à la façon de noctambules. Et le trait qui frappe
le plus, c'est qu'ils avancent le visage tourné vers le ciel: trait d'autant
plus remarquable qu'à leurs pieds la rivière profonde coule et qu'ils ne la
soupçonnent pas.
... On peut pourtant se demander s'il a bien regardé le tableau. Certes, comme
ceux de Baudelaire, les aveugles de Brueghel sont « affreux ». Mais la
ressemblance entre les deux oeuvres s'arrête pratiquement là. Contrairement à ce
que dit Antoine Adam, les aveugles de Brueghel ne font pas vraiment penser à des
mannequins ou à des somnanmbules, et surtout, bien loin qu'il aient tous « le
visage tourné vers le ciel », il n'y en a qu'un (le troisième en partant de la
gauche) qui semble vraiment regarder vers le ciel. Si, dans le sonnet de
Baudelaire, l'élément essentiel de la description des aveugles, celui sur lequel
repose toute la signification du poème, est évidemment le fait qu'ils semblent
tous avoir le regard fixé vers le ciel, chez Brueghel, l'élément essentiel de la
peinture des aveugles, celui sur lequel repose la signification du tableau,
c'est non moins évidemment le fait qu'ils avancent en file indienne et que
chacun d'eux se laisse guider par celui qui est devant lui qu'il tient par sa
canne ou par l'épaule, le peintre ayant voulu illustrer un verset de saint Luc
(VI, 39): « Numquid potest cæcus cæcum ducere? Nonne ambo in foveam cadunt? ». Le thème du sonnet de Baudelaire est si différent de celui de la Parabole
des Aveugles qu'il me parait tout à fait clair que Baudelaire ne peut en aucun
cas avoir trouvé dans le tableau du peintre flamand l'idée première et
directrice de son poème. Tout au plus a-t-il pu, après avoir conçu cette idée,
se souvenir des aveugles peints par Brueghel, au cas où il en aurait
effectivement connu son tableau, et écrire ainsi qu'ils sont « affreux ». Mais
rien n'est moins sûr.
... Si la Parabole des Aveugles n'a certainement pas été à l'origine des
Aveugles, il est fort probable, en revanche, et Jacques Crépet a été le premier,
me semble-t-il, à le signaler, que Baudelaire en a trouvé l'idée dans un passage
de La Fenêtre du coin, un des Contes posthumes d'Hoffmann, dont la traduction
avait été publiée en 1856 par Champfleury, dans lequel on peut lire le dialogue
suivant :
« Moi. - C'est cependant une chose remarquable que l'on reconnaît
immédiatement les aveugles, quand même ils n'ont pas les yeux fermés et que
rien dans le visage ne trahisse d'ailleurs cette infirmité, à cette seule
manière de tourner la tête en haut, qui est propre à tous les aveugles. Il
semble qu'il y a en eux comme un effort opiniâtre de voir quelque clarté
dans la nuit qui les enveloppe.
Le Cousin . - Rien ne m'émeut autant que
de voir ainsi un aveugle qui, la tête en l'air, paraît regarder dans le
lointain. Le crépuscule de la vie a disparu pour le malheureux; mais son
Sil intérieur tâche d'apercevoir déjà l'éternelle lumière qui luit dans
l'autre monde, plein de consolations, d'espérances et de béatitudes. »
... Pour M. Claude Pichois, pas plus que le tableau de Brueghel, le conte
d'Hoffmann n'a dû être à l'origine du poème de Baudelaire : ces deux sources,
écrit-il, « ne sont pas nécessaires : la simple observation d'une rencontre
parisienne peut suffire». Mais j'ai beaucoup de mal à comprendre comment il peut
mettre pour ainsi dire dans le même sac deux sources éventuelles d'une valeur si
différente et faire preuve à leur égard d'un égal scepticisme. Car,
contrairement à Brueghel dont la peinture des aveugles n'annonce guère la vision
que nous en donne Baudelaire et qui surtout veut tirer de leur comportement une
leçon très précise qui ne correspond en rien à la façon dont Baudelaire
interprète l'attitude des aveugles, Hoffmann nous offre, lui, non seulement une
évocation des aveugles tout entière centrée sur le même trait essentiel qui
semblera fasciner Baudelaire, à savoir qu'ils ont le visage tourné vers le ciel,
mais il nous en propose ensuite la même interprétation psychologique et
philosophique. Si donc, quand on prétend qu'à l'origine du poème de Baudelaire
il y a un tableau qui semble n'avoir aucun rapport avec lui, si ce n'est qu'il
peint des aveugles, on est tout naturellement tenté de hausser les épaules et de
faire remarquer, comme M. Claude Pichois, que Baudelaire n'avait pas besoin
d'aller dans un musée ou de regarder des gravures pour penser aux aveugles (il
lui suffisait de se promener dans les rues de Paris), il en va tout autrement,
en revanche, pour le conte d'Hoffmann. Car c'est une chose de rencontrer des
aveugles dans la rue, mais c'en est une autre que d'avoir l'impression qu'ils
semblent toujours regarder vers le ciel, et c'en est une autre surtout que de se
dire, comme le fait Baudelaire, que s'ils semblent toujours regarder vers le
ciel (avec une minuscule), c'est peut-être, c'est sans doute parce qu'ils
croient au Ciel (avec une majuscule). Or c'est déjà ce que font les personnages
d'Hoffmann. Baudelaire pouvait donc trouver dans le texte d'Hoffmann l'idée mère
et la matière principale de son futur poème et il est extrêmement probable, pour
ne pas dire quasiment certain que ce fut effectivement le cas. Telle était
d'ailleurs l'opinion de Jean Pommier.
... Mais Baudelaire est, bien sûr, un poète
beaucoup trop personnel pour se contenter de reproduire les propos d'autrui.
S'il s'est très vraisemblablement inspiré d'Hoffmann, il n'en a pas moins su
faire Suvre originale. En effet, si ce qu'il dit des aveugles rappelle de
manière précise ce qu'en disaient les personnages d'Hoffmann, c'est dans une
perspective toute nouvelle. Ce poème, qui semble d'abord devoir être, et le
titre est là pour nous inviter à le croire, un poème sur les aveugles, se révèle
être, tout à la fin, un poème sur le poète lui-même. Les aveugles qui semblaient
être le sujet même du poème ne jouent finalement, dans l'économie du poème, que
le rôle d'une comparaison. L'interprétation philosophique de l'attitude physique
des aveugles permet à Baudelaire non seulement de se reconnaître en eux, mais
même de se sentir encore plus désemparé, plus démuni et finalement plus aveugle
qu'eux, puisque, si lui voit bien la lumière du ciel, il n'a pas la chance
qu'ils ont eux de pouvoir croire au Ciel. Ce que nous dit ce sonnet, c'est la
solitude, le désarroi et la détresse du poète qui voudrait croire et qui ne le
peut pas. Ce que nous dit Baudelaire, c'est ce qu'il écrira à sa mère quelques
mois plus tard, le 6 mai 1861 : «"Et Dieu!" diras-tu. Je désire de tout mon
cSur (avec quelle sincérité, personne ne peut le savoir que moi) croire qu'un
être extérieur et invisible s'intéresse à ma destinée, mais comment faire pour
le croire?» Mais ce qu'il
dit à sa mère d'une manière très simple et directe, il nous le dit à nous que
d'une manière détournée; et malgré cela, ou plutôt grâce à cela, il nous le dit
avec beaucoup plus de force. Cette confidence, cette confession a un caractère à
la fois singulièrement impudique et discret, violent et voilé. Elle est
impudique par la vigueur, par la violence avec lesquelles Baudelaire nous dit
son désespoir. Elle est discrète parce qu'il le dit d'une manière très subtile,
en se servant des aveugles pour mieux se peindre lui-même. Mais c'est parce
qu'elle est voilée qu'elle peut être aussi violente.
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Fonte: René Pommier [excerto]
in
Assez
décodé!
22.Jan.2009
Publicado por
MJA
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